Les panneaux de La Mothe-Saint-Héray

Détail du panneau D1 figurant Jonas dans la tempête

Illustrations

Détail du panneau B1 : Annonciation Détail du panneau B7 : repos pendant la fuite en Égypte Détail du panneau B11 : Jonas (tempête) Détail du panneau F4 : le passage de la mer Rouge

L'identification des scènes

L'identification des scènes qui n'ont pas été reprises de gravures des Images et figures de la Bible a nécessité une étude cas par cas, fondée sur le rapport au texte et surtout sur des comparaisons avec les illustrations contemporaines de la Bible, essentiellement dans l'estampe, mais aussi dans la peinture. Mais il nous faut aller directement aux conclusions que l'on trouvera dans le schéma ci-joint, présentant tous les panneaux avec leur identification quelques titres sont suivis d'un point d'interrogation car le doute subsiste à leur sujet ; le processus de montage utilisé par le peintre rend parfois atypiques les éléments qui composent une scène, si bien qu'il peut y avoir confusion entre plusieurs épisodes de la Bible ; d'autres sont trop mal conservés pour que l'on puisse en identifier le sujet.

Je ferai exception toutefois pour deux panneaux historiés qui présentent des particularités importantes pour la définition du programme iconographique ou pour déterminer l'origine du peintre. Il s'agit d'abord de la scène de l'Annonciation, où la Vierge est représentée assise à l'intérieur d'un tempietto- emprunté bien entendu à une gravure de Peter Van der Borcht illustrant une autre scène du Nouveau Testament. Un lit à baldaquin intégré dans cette architecture italianisante, ramène à des représentations plus traditionnelles de cette scène dans le milieu franco-flamand. Mais ce qui surprend le plus, c'est l'absence de lys et de colombe. Le cas est trop rare pour ne pas y voir une volonté précise du commanditaire liée à des réticences d'ordre dogmatique à propos de l'Immaculée conception. On note en revanche un panier contenant un linge blanc posé aux pieds de Marie ; cet accessoire se retrouve dans le Repos pendant la fuite en Égypte (panneau 6, série B) où sa présence est plus naturelle, surtout chez les peintres flamands. Enfin, un homme debout à côté du tempietto représente probablement Joseph ; sa présence tout à fait inhabituelle dans cette scène pourrait indiquer qu'on a voulu insister ici sur la naissance naturelle de Jésus et réfuter, là encore, le dogme de la conception par le Saint-Esprit.

La deuxième exception porte sur le panneau 11 de la série B qui représente un navire secoué par la tempête, sans aucun personnage ; un tonneau flotte au milieu des vagues et un énorme poisson, gueule ouverte, s'en approche. Cette description fait évidemment penser à l'histoire de Jonas, mais celle-ci est déjà illustrée, de façon beaucoup plus explicite d'ailleurs, sur le panneau 1 de la série D, où l'on voit Jonas tomber du bateau. Les cycles gravés ou peints offrent trop d'exemples de l'illustration d'autres épisodes de son histoire, surtout dans le milieu flamand, pour qu'on ait inutilement répété deux fois le même ici. Une telle insistance sur le thème du navire dans la tempête montre qu'il était porteur d'une signification particulière ; un rapprochement vient immédiatement à l'esprit avec La tempête de Bruegel l'Ancien, tableau dont on considère qu'il évoque à la fois l'histoire de Jonas et l'illustration d'un proverbe flamand ou d'une coutume bien connue des marins de l'époque le tonneau a pour but de distraire le monstre marin du bateau en danger de naufrage. Autrement dit, cela signifie « lâcher la proie pour l'ombre », mais on y a vu aussi « l'image de l'homme qui, pour des futilités, manque son vrai salut 19(Note 19. Sur les interprétations de La tempête (Kunsthistorisches Museum, Vienne), voir entre autres R. Delavoy, Bruegel, Genève, 1959, p. 120, dont cette citation est extraite.) ». On peut remarquer d'autre part que le navire représenté dans ce panneau (ainsi que dans le panneau 1 de la série D) est du même type que ceux des tableaux ou des gravures de Bruegel l'Ancien 20(Note 20. On peut faire la comparaison par exemple avec le navire représenté dans La chute d'Icare (Musées royaux des beaux-arts, art ancien, Bruxelles), ainsi qu'une des onze « marines » gravées en taille-douce et à l'eau-forte par F. Huys d'après les dessins de Bruegel pour l'éditeur J. Cock.).

Mais on pourrait avoir là également une de ces manifestations de l'esprit allégorique de la Renaissance, dans les emblèmes de naufrage ou de la « fortune de mer », emblèmes moralisés ou à sous-entendu politique 21(Note 21. S. Pressouyre, « L'emblème du naufrage à la galerie François Ier », Actes du colloque international sur l'art de Fontainebleau, op. cit., pp. 127-139.). Enfin, on ne peut exclure des correspondances avec ces métaphores répétées dans la poésie de la fin du XVIe siècle, dont les évocations de la tempête, de la mouvance des flots, etc., reflètent le caractère d'insécurité et d'instabilité de l'époque 22(Note 22. C'est un phénomène que l'on constate particulièrement dans la poésie religieuse d'A. d'Aubigné ou de Saintongeais moins connus comme Y. Rouspeau et A. Mage, qui emploient très souvent ces images de flots tumultueux et de navires secoués par les vagues.).

Certaines de ces constatations confirment en tout cas l'origine flamande ou néerlandaise du peintre, qui semble avoir joui ici de quelque liberté vis-à-vis de son commanditaire, même si ce dernier a pu approuver ce choix en y ajoutant une intention personnelle.


NOTES

19. Sur les interprétations de La tempête (Kunsthistorisches Museum, Vienne), voir entre autres R. Delavoy, Bruegel, Genève, 1959, p. 120, dont cette citation est extraite.

20. On peut faire la comparaison par exemple avec le navire représenté dans La chute d'Icare (Musées royaux des beaux-arts, art ancien, Bruxelles), ainsi qu'une des onze « marines » gravées en taille-douce et à l'eau-forte par F. Huys d'après les dessins de Bruegel pour l'éditeur J. Cock.

21. S. Pressouyre, « L'emblème du naufrage à la galerie François Ier », Actes du colloque international sur l'art de Fontainebleau, op. cit., pp. 127-139.

22. C'est un phénomène que l'on constate particulièrement dans la poésie religieuse d'A. d'Aubigné ou de Saintongeais moins connus comme Y. Rouspeau et A. Mage, qui emploient très souvent ces images de flots tumultueux et de navires secoués par les vagues.
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