Les panneaux de La Mothe-Saint-Héray

Détail du panneau F3 : Jacob à Béthel

Illustrations

Réprésentation du drapeau hollandais (détail de panneau D1) Détail du martyr d'Éléazar (panneau D2) Détail du panneau F6 : chateau gothique

Des paysages animés peints par une main flamande

Un premier regard sur ces panneaux historiés permet une référence immédiate à la peinture flamande du XVIe siècle : les paysages, nombreux, y sont traités en vues panoramiques, selon la règle des trois tons, avec une prédominance des lointains bleutés et un effet de coulisses dans la succession des plans. L'aspect des rochers et des montagnes, la présence fréquente de chaumières rustiques aux pignons à redans, évoquent une influence bruegelienne. D'autres architectures figurées : châteaux de style gothique tardif entourés de douves, quelques édifices de type maniériste nordique, côtoient des architectures plus italianisantes.

En s'attardant davantage sur la représentation des arbres et de leur feuillage, on remarque une parenté plus précise avec les paysages des peintres originaires de Malines, tels Hans Bol ou les frères Valckenborch, proches de la manière des toiles peintes des manufactures de cette ville, où ils avaient travaillé, et de leurs effets de tapisserie. Mais la disposition de ces feuillages en masses alternées claires et sombres pourrait se rattacher aussi à ce que l'on retrouvera au début du XVIIe siècle chez un Jan Brueghel (dit « de Velours ») ou d'autres peintres anversois.

Un drapeau hollandais représenté dans le panneau illustrant l'histoire de Jonas, vient confirmer qu'il s'agit bien ici d'une main nordique ; cette revendication d'une appartenance - ou d'un désir d'appartenance - aux Provinces-Unies du Nord n'aurait pas de sens, en effet, de la part d'un peintre local, même s'il avait été formé par un Flamand 7(Note 7. Ce drapeau hollandais que H. Clouzot avait d'ailleurs remarqué, ne peut servir malheureusement à la datation des panneaux, car il existait de manière non officielle dès le début du XVe siècle ; il est mentionné pour la première fois comme « Prinsenvlag » (« drapeau du prince ») en 1572 et il ne sera officiellement drapeau des Pays-Bas qu'en 1795 (renseignements communiqués par JM. Van Leeuwen, bibliothécaire à l'Institut néerlandais à Paris).).

D'autres éléments font aussi penser aux « paysages animés de figurines » issus de l'évolution de la peinture de paysage flamande et d'une des tendances du maniérisme qui s'est développée au sein de l'École de Fontainebleau, en partie après la venue de Nicolo dell'Abate. Les petits personnages qui animent les paysages de La Mothe-Saint-Héray sont d'ailleurs très proches de ceux qui figurent sur les peintures des cheminées du château d'Écouen, eux-mêmes apparentés aux personnages des célèbres gravures sur bois de Bernard Salomon pour les Quadrins historiques de la Bible : « figurines très allongées, aux mollets exagérément rebondis et aux pieds minuscules, aux reins cambrés, avec des draperies nouées en paquets sous un abdomen saillant... le voile liant coiffe et ceinture [dans le vêtement féminin]... le goût des personnages à costumes orientaux ». Ces caractéristiques qu'Anne-Marie Lecoq attribue aux personnages des gravures de Bernard Salomon comme à ceux des cheminées d'Écouen, sont tout à fait applicables à ceux de nos panneaux historiés 8(Note 8. On rappellera seulement que la première édition des Quadrins historiques de la Bible de Claude Paradin, illustrée des gravures sur bois de B. Salomon, a paru chez jean de Tournes à Lyon en 1553 ; le succès de cet ouvrage a suscité trop d'éditions par la suite pour les mentionner ici. La citation d'A.-M. Lecoq est extraite de son article ; « Les peintures murales d'Écouen, présentation et datation », Actes du colloque international sur l'art de Fontainebleau, Paris, 1975, pp. 166-167.). Du même coup, il serait naturel d'inscrire ces panneaux dans la lignée des peintures murales inspirées par les gravures de Bernard Salomon, tels l'histoire de Joseph au château du Lude et les cycles mythologiques de Villeneuve-Lembron et Chareil-Cintrat 9(Note 9. D. Bozzo, « Les peintures murales du château du Lude », Gazette des beaux-arts, janvier 1965, pp. 199-218 ; et F. Enaud, « Peintures murales de la seconde moitié du XVIe siècle découvertes au château de Villeneuve-Lembron (Puy-de-Dôme) », Actes du colloque international sur l'art de Fontainebleau, op. cit. pp. 185-197.).

Un rapprochement s'impose également avec les figures peintes par Antoine Caron : un panneau comme le Martyre d'Eléazar appelle la comparaison avec Les massacres du Triumvirat du Louvre, non seulement à cause des personnages d'ailleurs, mais aussi à cause de la composition générale, de la disposition et du style des architectures figurées, et des nuances mêmes des couleurs 10(Note 10. Le rapprochement est plus évident encore avec le Massacre des Triumvirs du Musée de Beauvais attribué à Caron ou à l'entourage de Nicolo dell'Abate.).

Tout en gardant à l'esprit l'évidente différence de talent entre les maîtres qui viennent d'être évoqués et le petit peintre de La Mothe-Saint-Héray, le survol critique du style de ces peintures peut les situer logiquement dans une fourchette de datation assez large qui va de la fin du XVIe siècle au début du XVIIe, car il faut tenir compte d'un éventuel retard de la part d'un peintre modeste, peut-être ambulant.

Il serait même séduisant de reconstituer le périple de ce peintre à partir des influences constatées dans son œuvre : venant des Flandres, il aurait fait étape à Paris où étaient installés bon nombre d'artistes de son pays et où il aurait pu voir la peinture d'Antoine Caron et des gravures comme celles de Bernard Salomon si abondamment diffusées à cette époque ; puis il aurait repris le chemin de l'ouest en quête de travail, s'arrêtant peut-être à Fontainebleau, devenue alors « un relais pour la culture artistique des Pays-Bas 11(Note 11. A. Chastel, introduction au catalogue de l'exposition sur L'École de Fontainebleau, Paris, 1972-1973, p. XXVI.) », pour aboutir finalement à La Mothe-Saint-Héray... Un voyage en Poitou qui ne peut manquer de faire penser à celui de Nicolas Poussin, dans sa jeunesse, vers 1613...


NOTES

7. Ce drapeau hollandais que H. Clouzot avait d'ailleurs remarqué, ne peut servir malheureusement à la datation des panneaux, car il existait de manière non officielle dès le début du XVe siècle ; il est mentionné pour la première fois comme « Prinsenvlag » (« drapeau du prince ») en 1572 et il ne sera officiellement drapeau des Pays-Bas qu'en 1795 (renseignements communiqués par JM. Van Leeuwen, bibliothécaire à l'Institut néerlandais à Paris).

8. On rappellera seulement que la première édition des Quadrins historiques de la Bible de Claude Paradin, illustrée des gravures sur bois de B. Salomon, a paru chez jean de Tournes à Lyon en 1553 ; le succès de cet ouvrage a suscité trop d'éditions par la suite pour les mentionner ici. La citation d'A.-M. Lecoq est extraite de son article ; « Les peintures murales d'Écouen, présentation et datation », Actes du colloque international sur l'art de Fontainebleau, Paris, 1975, pp. 166-167.

9. D. Bozzo, « Les peintures murales du château du Lude », Gazette des beaux-arts, janvier 1965, pp. 199-218 ; et F. Enaud, « Peintures murales de la seconde moitié du XVIe siècle découvertes au château de Villeneuve-Lembron (Puy-de-Dôme) », Actes du colloque international sur l'art de Fontainebleau, op. cit. pp. 185-197.

10. Le rapprochement est plus évident encore avec le Massacre des Triumvirs du Musée de Beauvais attribué à Caron ou à l'entourage de Nicolo dell'Abate.

11. A. Chastel, introduction au catalogue de l'exposition sur L'École de Fontainebleau, Paris, 1972-1973, p. XXVI.

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