Les panneaux de La Mothe-Saint-Héray

Détail du panneau A11 figurant Melshisedec sur fond de paysage

Illustrations

Détail du panneau A8 : le Déluge Comparatif de deux panneaux présentant le même personnage Personnage semi-orientalisant du panneau E3 Personnage semi-orientalisant du panneau D2 Détail du panneau C8 : Lot et ses filles Détail du panneau F1, triomphe et pendaison Détail du panneau B1 : portrait de la Vierge

La « mise en peinture »

Le peintre a utilisé ses modèles selon deux procédés principaux. Le premier, le plus simple, consiste en une copie littérale de trente-sept des gravures des Images et figures de la Bible, puisqu'il en a repris à la fois les sujets et leur représentation formelle ; il n'a eu pour ce faire qu'à en doubler approximativement les dimensions (250 mm x 185 mm) et à les transposer en peinture. La plupart de ces sujets ont été choisis dans des gravures illustrant l'Ancien Testament, en majorité des scènes de la Genèse ; seuls trois sujets du Nouveau Testament ont été ainsi repris.

Mais le peintre avait à illustrer de nombreux autres épisodes bibliques qui n'étaient pas représentés dans cet ouvrage. Il a alors procédé par montage et collage à partir de divers éléments formels pris dans les Images et figures de la Bible ; c'est-à-dire que pour composer chacune de ses scènes, il a emprunté un paysage ou une partie de paysage à telle gravure, ses architectures figurées ou ses personnages à telle ou telle autre ; certains panneaux historiés ont nécessité un montage à partir d'éléments empruntés à trois ou quatre gravures différentes. Il est allé jusqu'à réutiliser plusieurs fois la même partie d'un décor ou le même personnage lorsque ceux-ci pouvaient convenir à la scène qu'il avait à peindre : pour ne citer qu'un exemple, les scribes hébreux qui peinent à transporter des briques sous les ordres d'un intendant de Pharaon sont les mêmes personnages que ceux qui participent à la construction de la Tour de Babel. Certains personnages, souvent réutilisés, en viennent à représenter des types de caractères : ainsi, le même homme vêtu d'un costume semi-oriental, incarne-t-il le rôle de l'oppresseur étranger ou de l'ordonnateur des punitions et du martyre dans les panneaux du Martyre d'Eleazar, de la Flagellation du Christ (panneau 8, série B) et dans le panneau 3 de la série E déjà cité.

Un autre type de combinaison a été employé aussi à trois reprises : il s'agit du détournement d'une gravure illustrant une scène de l'Ancien Testament pour en faire un tableau du Nouveau Testament, en ajoutant ou en changeant seulement un personnage : la Découverte du Livre de la Loi par Josias devient à La Mothe-Saint-Héray Le Christ devant le Sanhédrin (panneau 4, série B) par une adjonction, assez discrète d'ailleurs, de la figure du Christ portant la chlamyde écarlate. Tout le reste de la scène change alors de signification sans difficulté : Josias assis sur son trône et déchirant ses vêtements devient le grand prêtre Caïphe exécutant le même geste.

En règle générale, ce processus de collage et de montage dont cet exemple illustre l'ingéniosité, est exécuté avec beaucoup d'habileté sur le plan technique ; il dénote en tous cas une connaissance approfondie des gravures et du style de Peter Van der Borcht et certaines affinités dans cette rencontre entre le graveur et le peintre. Mais on sent bien que le peintre a privilégié le choix des paysages par rapport aux architectures figurées dans la peinture desquelles il se sentait sans doute moins à l'aise.

Enfin, ce processus ne se réduit pas à un coloriage. C'est pourquoi nous avons employé l'expression de « mise en peinture ». Une véritable transposition s'opère, qui se manifeste d'abord dans une simplification générale, par exemple dans les détails ornementaux des architectures figurées, et par une réduction du nombre des personnages : une armée se résumera à quelques soldats, une foule ou un cortège à quelques personnes... Mais c'est par la couleur, bien évidemment, qu'elle prend toute sa valeur : la dominante bleutée des lointains ou de l'eau dans les seconds plans ajoute aux paysages une atmosphère vaporeuse et aérienne qui n'existait pas dans les gravures ; de même, les couleurs vives, rouges et bleues, ponctuées de jaune clair, les blancs ou les roses un peu nacrés des vêtements, confèrent une sorte de gaieté et de fraîcheur à des scènes qui, souvent, étaient censées illustrer des épisodes tragiques de la Bible. Parfois encore, les couleurs accentuent le caractère de scènes de genre que les gravures avaient déjà.

D'un point de vue stylistique, l'analyse des panneaux se heurte donc à la difficulté de faire le départ entre ce qui tient à la personnalité du peintre ou à sa formation première, et ce qu'il a repris des gravures en les transposant. Presque toutes les observations présentées au début de cette étude concernaient en fait, on le voit maintenant, le style du graveur, de ce Peter Van der Borcht, originaire de Malines, qui avait travaillé à Anvers et avait été influencé par Bruegel l'Ancien ainsi que par le graveur Bernard Salomon 17(Note 17. Sur P. Van der Borcht, ses activités d'illustrateur chez Plantin et d'autres éditeurs, son style, les influences de Bruegel et de B. Salomon, voir notamment : A.J.J. Delen, Histoire de la gravure dans les anciens Pays-Bas et dans les provinces belges, des origines jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, Paris, 1934-1935, vol. II, pp. 81-104, et vol. III, p. 103.).

II y a tout de même quelques exceptions à cette règle des emprunts : la Vierge de l'Annonciation, Marie et Élisabeth dans la Visitation, et en général le personnage du Christ dans les scènes de la Passion, sont des « créations personnelles » du peintre, de même que l'édifice romanisant représenté dans la Visitation et les navires qui figurent dans l'histoire de Jonas. Dans tous ces cas, la qualité d'exécution est légèrement meilleure ; cependant, ce n'est pas un argument suffisant pour conclure que deux mains différentes auraient pu se partager le travail, d'autant plus qu'il n'existe pas de différence dans le style des personnages.


NOTES

17. Sur P. Van der Borcht, ses activités d'illustrateur chez Plantin et d'autres éditeurs, son style, les influences de Bruegel et de B. Salomon, voir notamment : A.J.J. Delen, Histoire de la gravure dans les anciens Pays-Bas et dans les provinces belges, des origines jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, Paris, 1934-1935, vol. II, pp. 81-104, et vol. III, p. 103.

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