Les panneaux de La Mothe-Saint-Héray

Détail du panneau B1 : Annonciation

Illustrations

Détail du panneau A1, Dieu en majestée Détail du panneau C1 : création d'Ève Détail du panneau B4 : le Christ devant le Sanhédrin Détail du panneau E8 : danse autour du Veau d'Or Détail du panneau F5 : Le bâton de Moïse se transforme en serpent

Le commanditaire : Jean ou Henri de Baudéan ?

À la lumière de cette étude iconographique, il faut donc se pencher sur la vie et les opinions politiques et religieuses de Jean et d'Henri de Baudéan.

Jean de Baudéan, comte de Parabère, appartenait à une grande famille originaire du Béarn. Il a combattu avec bravoure aux côtés d'Henri IV dont il a été un fidèle compagnon d'armes depuis la première heure ; si bien qu'il en a reçu des charges importantes et une fortune conséquente dès les dernières années du XVIe siècle : principalement la double lieutenance du Haut et du Bas-Poitou, et le gouvernement de la ville de Niort (qui a joué un grand rôle pendant les guerres de religion). Calviniste convaincu comme son épouse et toute sa famille, il a été en rapports étroits avec Agrippa d'Aubigné. Mais tous ses biographes s'accordent à lui reconnaître modération et équité dans l'exercice de ses charges, et il a très probablement fait partie de la tendance des « Politiques ». Son loyalisme envers le roi ne s'est jamais démenti, même sous Louis XIII et malgré son refus d'abjurer la religion réformée lors de la venue de ce roi à Niort en 1621. Sa conversion au catholicisme est généralement admise ; elle a dû intervenir très peu de temps avant sa mort en 1631, toute sa famille s'étant déjà convertie : un de ses fils, Charles de Neuillan, l'avait fait de façon très spectaculaire dès 1617. D'ailleurs, le contexte historico-religieux du Moyen-Poitou dans les années 1625-1630, rendait très difficile le maintien d'un notable dans la religion réformée 24(Note24. Il est impossible de citer ici toutes les sources, archives et documents anciens qui ont été consultés à propos de Jean de Baudéan, son fils Henri et son entourage familial, ainsi que sur l'histoire locale ; parmi les études modernes, signalons principalement, outre l'ouvrage du Dr. Prouhet, déjà cité en note 4 : H. et P. Beauchet-Filleau, Dictionnaire historique et généalogique des familles du Poitou, Poitiers, 1891-1970, 1, pp. 332-333 ; - E. Hagg, La France protestante, Paris, 1846-1859, 1, pp. 20-22 ; Lastic de Saint Jal, « Le comte de Parabère et sa famille », Mémoires de la Société des antiquaires de l'Ouest, 1885, VII, 2e série, pp. 449-535 ; A. Benoist, « Catholiques et protestants en Moyen-Poitou jusqu'à la révocation de l'Édit de Nantes », Bulletin de la Société historique des Deux-Sèvres, 1983, XVI, 2e série, pp. 235.439 ; L. Favre, Histoire de la ville de Niort depuis les origines jusqu'à 1789, Niort, 1880.).

Son fils, Henri, a repris ses titres et ses charges, en a résilié certaines pour en accepter d'autres plus importantes encore, et la terre de La Mothe-Saint-Héray a été érigée en marquisat en 1633. Catholique à cette date, et ce probablement depuis quelques années, il a reçu le cordon bleu de l'Ordre du Saint-Esprit la même année 25(Note 25. On ignore si Henri de Baudéan a reçu cette distinction pour lui-même ou au nom de son père décédé (qui aurait été nommé dans cet ordre juste avant de mourir).) et dix ans plus tard, il fondait à La Mothe-Saint-Héray un couvent de Bénédictines dont sa fille a été la première Abbesse. Sa pratique de la religion catholique n'était donc pas de pure convention.

Ce que l'on a pu constater du programme iconographique s'accorde donc mieux avec l'époque de Jean de Baudéan, sa ligne de conduite et ses opinions qu'avec celles de son fils Henri. On pourrait tout de même s'étonner qu'un calviniste comme Jean de Baudéan ait accepté l'idée de ces images bibliques qui, de plus, figurent le Dieu de l'Ancien Testament sous forme humaine : mais sa modération allait peut-être jusqu'à accepter un tel compromis.

Le choix - ou l'acceptation - des gravures des Images et figures de la Bible comme modèles serait plus compréhensible également de la part de Jean de Baudéan : s'il s'agissait de la première édition et d'un exemplaire qui comportait le texte de Barrefelt, il faudrait alors supposer qu'il nourrissait quelque sympathie pour la « Famille de la Charité », ce qui ne serait pas en désaccord avec sa personnalité ; s'il s'agissait par contre de l'édition de 1613 ou de 1617 des Emblemata sacra, les brefs commentaires calvinistes qu'elles contenaient auraient pu lui convenir encore mieux. On sait que les ouvrages interdits circulaient facilement entre les Flandres et le port de La Rochelle et que, d'autre part, le milieu des imprimeurs et des marchands-libraires de toute la région était presque totalement acquis à la religion réformée, dans les années 1570-1600, et même au-delà. Il n'y aurait rien de surprenant, dans ces conditions, à ce que Jean de Baudéan ait acquis lui-même un de ces ouvrages 26(Note 26. Sur l'imprimerie, les marchands-libraires et la circulation des livres dans la région, voir H. Clouzot, Notes pour servir à l'histoire de l'imprimerie à Niort et dans les Deux-Sèvres, Niort, 1892 et L. Chatenay, La vie intellectuelle en Aunis et Saintonge de 1550 à 1610, La Rochelle, 1959, Librairie du Quartier latin, 2 vol.).

On pourrait alors situer l'exécution de ces panneaux historiés dans les années 1610-1620, Jean de Baudéan s'est consacré plus particulièrement à l'aménagement de son château à partir de 1613, alors qu'il avait restreint ses activités militaires et même certaines de ses fonctions administratives. Cette datation conviendrait également si l'on se place du point de vue du style même de la peinture...

Ces arguments ne constituent pas cependant des preuves irréfutables pour attribuer la commande à Jean de Baudéan, et l'hypothèse d'une attribution à son fils Henri ne peut être absolument rejetée : la présence de son monogramme sur les encadrements parle tout de même en sa faveur, bien que la date de son apposition soit discutable. Mais dans ce cas, on ne comprendrait plus l'orientation protestante du programme et les anomalies dans la scène de l'Annonciation, de la part d'un homme qui affichait un catholicisme aussi résolu. De même, le choix de l'ouvrage dont les gravures ont servi de modèles ne pourrait s'expliquer que si Henri n'en avait connu que la version sans le texte. La date de 1633 parait en outre tardive eu égard au style archaïque de cette peinture, mais on peut sans doute admettre qu'un peintre peu créatif, peut-être âgé ou parti depuis longtemps de son pays d'origine, soit resté très retardataire ; il ne faut pas oublier non plus qu'en recopiant des gravures datées de 1585, il en reprenait également le style. Si cette dernière hypothèse était pourtant la bonne, le nom de Corneille Simoensüene avancé par H. Clouzot pour l'identité du peintre serait plausible, bien qu'invérifiable actuellement.


NOTES

24. Il est impossible de citer ici toutes les sources, archives et documents anciens qui ont été consultés à propos de Jean de Baudéan, son fils Henri et son entourage familial, ainsi que sur l'histoire locale ; parmi les études modernes, signalons principalement, outre l'ouvrage du Dr. Prouhet, déjà cité en note 4 : H. et P. Beauchet-Filleau, Dictionnaire historique et généalogique des familles du Poitou, Poitiers, 1891-1970, 1, pp. 332-333 ; E. Hagg, La France protestante, Paris, 1846-1859, 1, pp. 20-22 ; Lastic de Saint Jal, « Le comte de Parabère et sa famille », Mémoires de la Société des antiquaires de l'Ouest, 1885, VII, 2e série, pp. 449-535 ; A. Benoist, « Catholiques et protestants en Moyen-Poitou jusqu'à la révocation de l'Édit de Nantes », Bulletin de la Société historique des Deux-Sèvres, 1983, XVI, 2e série, pp. 235.439 ; L. Favre, Histoire de la ville de Niort depuis les origines jusqu'à 1789, Niort, 1880.

25. On ignore si Henri de Baudéan a reçu cette distinction pour lui-même ou au nom de son père décédé (qui aurait été nommé dans cet ordre juste avant de mourir).

26. Sur l'imprimerie, les marchands-libraires et la circulation des livres dans la région, voir H. Clouzot, Notes pour servir à l'histoire de l'imprimerie à Niort et dans les Deux-Sèvres, Niort, 1892 et L. Chatenay, La vie intellectuelle en Aunis et Saintonge de 1550 à 1610, La Rochelle, 1959, Librairie du Quartier latin, 2 vol.

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