Le musée du Nouveau Monde de La Rochelle a procédé à l’acquisition en vente publique de 267 héliogravures du photographe américain Edward Sheriff Curtis en 1981.
Les photogravures (en format 55 cm par 44 cm) sont issues de retirages exécutés en 1950. Ils reprennent une partie des tirages sélectionnés pour figurer dans les portfolios associés au très vaste projet de Curtis : The North American Indian, œuvre-fleuve de près de 30 années, pour 40 000 clichés réalisés (2 000 publiés), couvrant plus de 80 tribus sur toute la moitié ouest de l’Amérique du Nord. Une somme documentaire voulue par Curtis comme une mémoire écrite et pérenne de peuples de tradition orale et menacés de disparition.
« [...] les informations qui doivent être recueillies, au bénéfice des générations futures, en respectant le mode de vie d'une des plus grandes races de l'Humanité, doivent l'être immédiatement ou cette possibilité disparaîtra à jamais. » (Curtis, 1907)
Si le sujet des héliogravures demeure les Indiens, la présentation de leurs différents modes de vie, de leurs environnements et de leurs cultures, marque aussi, en creux, le regard de leur auteur. Il permet de lire les partis pris mis en œuvre – et souvent mis en scène – par le photographe pour servir un propos qu'il voulait autant esthétique qu'ethnographique : deux aspects difficilement conciliables tant Curtis avait à cœur de présenter les tribus indiennes rencontrées telles qu’il les imaginait avant le confinement sur les réserves : libres et fières. Un âge d’or révolu mais qu’il voulait néanmoins (re)présenter dans ses dignes portraits de chefs, ses compositions de groupe de cavaliers en route vers une hypothétique chasse au bison, dans l’immortalisation par l’image de leurs cérémonies et de leurs danses…
Malgré l'aspect forcément parcellaire des 267 tirages du fonds face aux 2 000 photos publiées par Curtis, cette collection comporte des prises de vue qui jalonnent les moments parmi les plus importants dans l’élaboration de l’œuvre de l’auteur. On y retrouve ses premières prises de vue figurant des Indiens, celles qui ont ouvert la voie à son projet ; celles des Indiens des Grandes Plaines, qui l’ont rendu célèbre et, d’autres, plus tardives, de sa région : la côte Nord-Ouest. Ce fonds permet ainsi d’évoquer la diversité des cultures et la dimension hors norme du projet qui mena Curtis à l'épuisement et à l’oubli avant sa redécouverte au début des années 1970 : une notoriété posthume acquise avec l’émergence des mouvements de revendication des Amérindiens et à la prise de conscience américaine de la condition indienne.
L’œuvre de Curtis est passionnante et singulière par la profonde dichotomie qui s’y dévoile entre optimisme pastoral et pacifique et nostalgie romantique « d'une civilisation presque éteinte ». Personnage complexe à la fois idéaliste et naïf, ambitieux jusqu’à l’orgueil, Curtis livre une œuvre fortement subjective autant qu’énormément documentée. Le temps passé aux côtés des Indiens, à vivre leur quotidien au cours de ses multiples expéditions montre l’engagement de l’homme et ce, malgré certains commentaires à la condescendance héritée des théories évolutionnistes de son époque. À force de mises en scène, de ré-interventions et de petits arrangements avec la réalité, son œuvre a pu inciter à la réserve, être jugée artificielle. Elle montre paradoxalement la sincérité et l'acharnement de l’américain blanc E. Curtis à mettre les Nations indiennes à l’honneur. En cela, son apport est indéniable dans la constitution de la mythologie américaine et son projet témoigne d’une impressionnante aventure humaine.