AU-DELA DU NOIR
Retour sur une exposition

30 avril au 29 août 2010, musée Saintes-Croix, Poitiers

Sommaire

Entretien avec Jean-Pierre Potier (suite)


Vous avez obtenu la densité voulue du noir par l'emploi du fusain sur le drop paper, votre exposition s'intitule « Au-delà du noir », pouvez-vous nous en dire plus sur le choix de ce titre ?

J'ai choisi d'utiliser une dominante noire et de ne pas intégrer de couleur car je trouvais que ces bâtiments avaient un côté assez austère que je voulais accentuer, Je voulais rendre leur dimension monumentale.

J'ai travaillé en noir et blanc avec un peu de sépia : une teinte légère qui redonne un peu de chaleur – un certain romantisme, si l'on peut dire – à des formes qui sont un peu froides. Je voulais que l'on passe au-delà de la première impression, de la simple vision de ces dessins pour éprouver une émotion, que l'on puisse être touché au-delà de l'a priori que l'on peut avoir à contempler des silos.


Il n'y a donc pas de symbolique particulière associée à l'emploi du noir ?

Non, ce qui m'importe c'est le travail sur le motif, la partie graphique.
Ces dessins sont des variations sur un motif, ils révèlent un travail en constante progression. Lorsque je réalise quelque chose, c'est d'abord parce que j'ai envie de le voir. En fait, je travaille d'abord pour moi, pour ma propre envie et ensuite, sur chaque dessin, j'essaye toujours d'améliorer une technique ou d'apporter autre chose. Les premiers silos ont des fonds sépia très travaillés ; suit une seconde série sur fond blanc, pour une opposition plus forte. Les silos ne s'intègrent à rien, c'est quelque chose de posé sur le blanc. Après, dans un troisième temps, pour des raisons plus techniques, j'ai retravaillé sur les fonds, dans des tons de gris. En effet, travailler au fusain sur un fond qui doit rester d’un blanc immaculé n'est pas simple techniquement. Dans le cas des fonds gris, s'il se produit des éclats de fusain, ces derniers viennent enrichir le fond.

 


Vous travaillez à partir de prises de vue photographiques, de prime abord, votre travail semble  photo-réaliste, documentaire, mais ce n'est pas le cas...

C'est du faux réalisme... Le côté précis et marqué recherché pour cette série de dessins peut donner cette impression. C’est un parti pris que je me suis fixé pour ce travail. En fait, comme ce sont des grands formats, il n'est pas possible de faire des écarts importants, en cas d'erreur : « c'est tout qui se casse la figure ». Une certaine rigueur est de mise et par conséquent ces édifices, ainsi définis, ont un côté réaliste. En somme, les photographies prises ne me servent que de point de départ, chaque silo part d'une base existante à laquelle j'ajoute ou retire  des éléments.

 

 

Certains dessins semblent pourtant constitués à partir d'éléments photographiques sur lesquels vous ré-intervenez par collages et découpes...

Oui, j'ai fait des tirages de ces photos en photocopie pour m'en servir d'éléments à la base de mon dessin. Pour les premiers silos, j'ai repris des techniques utilisées précédemment pour mes séries sur la ville : des systèmes de transfert pour pouvoir architecturer les toiles. Je transfère des éléments basiques, sans qualité, pour avoir une petite trace sur laquelle je dessine. De plus, ce système de transfert me donnait des matières constituées par les trames d'impression et les pixels agrandis que j'utilise notamment pour le rendu des structures de béton ou de métal... que je trouvait intéressants.

Puis petit à petit, j'ai abandonné l'emploi de transferts pour n’utiliser que la technique du fusain et de la pierre noire.

 


Pour en revenir au motif du silo, vous combinez donc divers éléments architecturaux empruntés à vos sources photographiques et qui constituent la base de l'architecture « imaginaire » figurée sur vos dessins...

J'assemble des parts de bâtiments, j'opère des choix. Il arrive, en cours de réalisation, que je  constate que  certains silos ne « fonctionnent » pas ; en ajoutant ou en retirant un élément, cela permet  de retrouver un aspect massif, compact et de redonner de la force au motif. C'est une reconstruction de l'image : des volumes, des parallélépipèdes, des cubes, des cylindres qui sont assemblés.
Pour en revenir à l'aspect photographique : c'est le côté « construit » qui peut donner cette impression, associé au choix du noir et du blanc et du traitement volontairement précis d'éléments figurés par endroits. Si l'on y prête attention, on voit bien qu’il ne s’agit pas d’une démarche photo-réaliste : ce n'est pas réel, les ombres ne correspondent pas à des ombres « justes ». L'ombre et la lumière sont là pour révéler les formes.



L'absence de titre ou d'une quelconque localisation des silos confirme le refus d'une volonté documentaire...

Je les ai nommés « silo 1 », « silo 2 », « silo 3 », etc.

Dans l'ensemble, il s'agit plutôt d'un ordre chronologique lié à la réalisation des dessins. Au départ, j'ai été tenté de les situer, mais je ne connaissais pas bien la région ou parfois je capturais la photo d'un silo depuis ma voiture lors d'un trajet... N'avoir qu'une forme, une silhouette peut être suffisant. J'ai donc finalement renoncé, ce n'était  pas ma démarche. Je ne souhaitais pas faire le catalogue des silos de la région.

Néanmoins, l'attribut patrimonial est là et la base de cette série de dessins appartient bien aux silos de la région. Mais c'est la seule chose et je n'ai pas vraiment voulu que l'on puisse les situer ou les reconnaître, ce n'est pas l'intérêt...