AU-DELA DU NOIR
Retour sur une exposition

30 avril au 29 août 2010, musée Saintes-Croix, Poitiers

Sommaire

Au-delà du noir – au-delà du motif
Anne Benéteau Péan
conservateur du patrimoine, directrice des musées de Poitiers

Vue de l'exposition le jour du vernissage


Jean-Pierre Potier s’est emparé d’un motif : le silo. Il en a fait son objet. Son intérêt pour cette architecture particulière est apparu lors de son installation dans la région Poitou- Charentes : motif architectural singulier dans le paysage rural, le silo industriel a suscité sa curiosité avant de devenir l’objet d’une quête patiente et obstinée de la monumentalité d’une forme transcrite sur le papier.

Il travaille le plus souvent en grand format, à partir de photographies. Il s’approprie la silhouette massive de ces « cathédrales » de béton et de métal et sollicite leurs formes géométriques dans une interprétation faussement réaliste.

Grâce à la technique du fusain sur drop paper, papier contemporain en fibres synthétiques, il exploite les contrastes de valeurs : noir – sombre, velouté - du motif, sur le blanc du support laissé en réserve. La suppression de tout élément de paysage autour du silo permet d’accentuer la puissance évocatrice de la forme, dans une relation privilégiée au spectateur que rien ne distrait de la contemplation des jeux de la lumière sur les reliefs de l’architecture.

 


Vue de l'exposition le jour du vernissage
Vue de l'exposition le jour du vernissage 

Le parti pris formel et esthétique de l’usage quasi exclusif du noir – matière-couleur la plus dense qui absorbe au maximum la lumière – accentue la rigueur de la composition et magnifie le motif. Le recours fréquent au grand format crée les conditions d’une perception intime de la forme architecturale que le pouvoir d’abstraction du noir transforme en construction esthétique pure.

Le spectateur pénètre au-delà du noir, dans un monde à la fois familier et étrange : il reconnaît la silhouette du silo tout en découvrant la poésie immatérielle de la forme surgissant du blanc du support. La vibration particulière de la lumière dans le velouté du fusain nourrit l’émotion qui surgit devant ces architectures dématérialisées.

Montrer les silos de Jean-Pierre Potier, c’est aller au-delà du motif : c’est exposer la démarche singulière d’un artiste, son appropriation d’un élément familier du paysage rural que son regard transfigure imperceptiblement et inexorablement. Malgré l’illusionnisme apparent de leur représentation, les silos de Jean-Pierre Potier ne sont pas des portraits de sites mais l’expression intime d’un élan créateur. Au prisme de leur re-création sur le papier, ils perdent leur matérialité essentielle. La forme qui surgit et s’impose sur la feuille vaut pour elle-même, objet esthétique que le travail du noir révèle dans la fulgurante beauté de détails graphiques : moirures de parements métalliques, dentelles de passerelles extérieures, accents brillants de baleines de parapluie déployées sur des cuves, veloutés en aplats mats de pans murs lisses… Jean-Pierre Potier capte les effets subtils de la lumière sur la forme, sur la structure et son habillage, il compose une poésie du vocabulaire de l’architecture industrielle dans un concerto en noir.


Vue de l'exposition le jour du vernissage
Vue de l'exposition le jour du vernissage 

Le noir est velours, mat, abstrait. Profond, intense, sans brillance. Il précipite l’œil au-delà du réel.

Il est le motif, et sa force, et son abstraction. Il est la pensée de l’artiste, et son expression. Il ouvre le regard à une esthétique singulière.

Et surgit le rouge. Une seule composition sur écran rouge. Unique et déstabilisante. Ce fond rouge dramatise la forme, théâtralise l’émotion, accuse la monumentalité du motif. Il renvoie à l’insécurité de l’expérience sensorielle. Rouge inconfortable et puissant, couleur subjective qui bouscule l’inconscient.

Au-delà du motif, au-delà du noir, l’évidence de l’œuvre s’impose.

L’œuvre de Jean-Pierre Potier trouve naturellement sa place dans les salles du musée Sainte-Croix. Riches d’une importante collection d’arts graphiques, les musées de Poitiers ont exposé régulièrement l’art contemporain depuis trente ans. Montrer cet ensemble renoue avec la présence attendue de l’art contemporain dans les musées de la Ville et s’inscrit dans une logique de mise en valeur des arts graphiques.


Vue de l'exposition le jour du vernissage
Vue de l'exposition le jour du vernissage 

La technique du fusain renvoie à une pratique classique du dessin, qui inscrit l’œuvre dans une tradition artistique. L’usage du drop paper, à la fois proche du papier par sa texture et foncièrement distinct par ses propriétés physiques, place l’artiste dans une modernité assumée, qui use sans complexe d’un matériau nouveau pour mettre en œuvre une technique graphique traditionnelle.

L’ancrage géographique du travail de Jean-Pierre Potier renforce encore la nécessité de son exposition. C’est l’image de silos de la région dont il s’est emparé : c’est à Poitiers qu’il importait de révéler en premier cet œuvre, quand bien même la transfiguration du motif l’abstrait d’un réalisme apparent et lui confère une atemporalité dénuée d’attaches territoriales.

D’ici et de nulle part, de toujours et d’aujourd’hui, l’œuvre de Jean-Pierre Potier ouvre, dans les salles du musée Sainte-Croix, un espace imaginaire dans lequel le regard est invité à une rencontre émotionnelle.