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Histoire de l'œuvre

Pièce éminente de l’illustration poitevine exposée au musée Sainte Croix de Poitiers, ce tableau est la plus ancienne représentation peinte de Poitiers qui nous soit parvenue. Faite à la demande du maire Jean Pidoux et des membres du Corps de Ville, cette peinture est livrée par François Nautré en 1619. Il s’agit alors pour les commanditaires, de commémorer, cinquante ans après l’événement, un épisode majeur de l’histoire militaire de la cité et des guerres de Religion en Poitou : le siège infructueux mené en 1569 par les armées huguenotes de l’amiral Gaspard de Coligny sous la conduite nominale des princes de Bourbon, Henri de Navarre, futur roi de France Henri IV, et son cousin Henri I, prince de Condé. En effet, depuis 1562, la France est livrée à une longue guerre civile où s’affrontent politiquement et religieusement protestants et catholiques dans une série de huit conflits qui ravagent toutes les provinces du royaume jusqu’à la paix imposée par l’Édit de Nantes en 1598. Dès le début des hostilités, Poitiers, ville catholique riche, est investie et pillée, les trésors des églises et des monastères saccagés, ce qui détermine les habitants à renforcer les défenses et à repousser avec énergie les assauts des années suivantes.

Véritable monument d’histoire locale et d’urbanisme et seule œuvre avérée de Nautré, cette toile de grandes dimensions (hauteur 1,94 x largeur 3,65) développe tout à la fois une image topographique de la ville et de ses alentours vus à vol d’oiseau et une narration très documentée des diverses péripéties du siège qui dure sept semaines (du 22 juillet au 7 septembre) et dont la levée précède de quelques jours la bataille décisive de Moncontour.

Les inscriptions en langues française et latine peintes sur les larges banderoles au bas du tableau et de part et d’autre des armes du roi Louis XIII éclairent sur la genèse de l’œuvre : elles sont empruntées aux « Sonnets mêlés » de Scévole de Sainte-Marthe, poète et homme politique, maire en 1579 et aux vers de Jean de la Ruelle, son cousin, chanoine de la cathédrale et régent de l’université, qui dès 1573, avaient eu l’idée d’immortaliser la ville en ex-voto et en avaient préparé les textes.

Muni d’un cadre sur lequel figurent plus de quatre-vingts armoiries, celles des membres du conseil, c’est-à-dire des personnages issus des grandes familles locales, ce tableau prend place dans la salle de l’Échevinage jusqu’en 1820, date à laquelle il est déposé au musée municipal.

Un portrait de ville

Lorsqu’il est choisi pour exécuter cette importante commande, François Nautré est un peintre reconnu à Poitiers. Il y exerce son métier depuis longtemps puisque son contrat de mariage rédigé en décembre 1599 le dit « maître en l’art de peinture à Poitiers » et divers actes mentionnent la présence d’élèves et d’apprentis à ses côtés. Bien établi dans la ville et jouissant d’une bonne réputation, il reçoit la charge de visiter les peintures du jubé de la cathédrale en 1616.

Les documents d’archives très lacunaires le montrent proche des milieux de marchands mais ne donnent aucune information quant à sa naissance, sa formation ou sa carrière artistique. Une seule source renseigne sur sa personnalité et ses goûts : l’inventaire successoral dressé en 1609 à la mort de sa première épouse qui décrit son mobilier, caractéristique de la petite bourgeoisie de l’époque. Il possède quelques livres d’art, dont deux d’architecture en italien, « cinq tableaux en détrempe », des armes, poignards, rondelles, un poitrinal, deux arquebuses, deux hallebardes et un pistolet « façon d’Allemagne ». Marié deux fois, père de famille nombreuse (14 enfants), il meurt le 23 septembre 1625 et est enterré dans l’église Saint-Didier.

Poitevin, il habite en face du couvent des Cordeliers, François Nautré manifeste à travers sa peinture sa parfaite connaissance de Poitiers, de la géographie urbaine et du déroulement du siège. Peut-être témoin oculaire ou nourri des récits de ceux qui ont participé aux combats, il s’appuie en tout cas sur les chroniques écrites par les contemporains, Liberge, Michel Le Riche, François le Poulchre de Messemé, un des plus valeureux défenseurs.

Brossant un large panorama, il invente une vue cavalière originale et improbable que le spectateur embrasse d’un seul regard et à laquelle les détails fournis et vérifiables donnent l’apparence d’une réalité concrète. Dans un paysage immense, il met en scène la ville protégée par ses remparts, enserrée entre la vallée du Clain et les marais de la Boivre, note les escarpements rocheux de la Cueille ou des Dunes, et décrit les faubourgs élargis aux villages proches, détaillant même les champs et leurs cultures.

Il compose ce qui semble être un véritable portrait de ville, fidèle, traçant avec exactitude rue par rue les bâtiments publics et les demeures. Les quartiers sont bien rendus, avec leurs églises, leurs hôtels particuliers et leurs spécificités. De petites croix blanches marquent les limites des paroisses. Tout paraît juste, parfaitement identifiable et cohérent. Souscrivant aux intentions municipales, Nautré s’attache avant tout à décrire l’épisode militaire. Il campe les chefs protestants sur le plateau des Dunes dirigeant les manœuvres, les escarmouches tout autour de la ville, le cantonnement installé près de l’Hôpital des Champs, les mouvements des escadrons de reîtres et de lansquenets.

La chronique d'un siège

Il montre les murs éboulés, les canons qui bombardent la ville et ceux qui répondent, les flammes qui détruisent les maisons. Il peint les assaillants en pleine action, leurs ruses déjouées, les défenseurs, piétons ou cavaliers, aux aguets, massés derrière les murailles et prêts à intervenir. Il souligne même les astuces qui ont aidé les poitevins à survivre, comme les draps tendus en travers de la Grand’rue pour masquer les déplacements des habitants et des soldats et les palles d’osier installées entre les arches du pont de Rochereuil pour retenir l’eau en amont du camp ennemi et gonfler artificiellement le cours de la rivière dans ses parties les plus vulnérables. Par la multiplication des saynètes de lutte, il réussit à suggérer la violence et la fureur des combats et à les inscrire dans la durée du siège, et par retour, à glorifier l’action héroïque des défenseurs, qui sont souvent les pères ou les grands-pères des commanditaires.

François Nautré conçoit cette peinture très riche d’anecdotes comme un récit pictural concentré en une seule scène et il y insère de multiples notices descriptives ou explicatives à la manière des bulles des bandes dessinées, souvent datées, qui permettent d’en suivre jour après jour les diverses péripéties. Toutefois Nautré va bien au-delà du compte rendu visuel. Il offre à ses contemporains une triple lecture de la ville : il leur donne à voir l’image de la cité telle qu’elle était au printemps 1569, encore médiévale, avec des bâtiments qui ont disparu pendant le conflit ou peu après comme l’abbaye Saint-Cyprien ou le clocher de Saint-Hilaire ; peignant au début du XVIIe siècle, il veille à introduire les nouveaux édifices cultuels nés de la Contre-Réforme tels la chapelle Saint Louis, le couvent des Minimes et ceux des Feuillants ou des Capucins ; enfin, il dénonce l’horreur de la guerre alors que les troubles religieux ont repris à Poitiers depuis la mort d’Henri IV en 1610 et qu’ en 1616 les incidents se sont multipliés entre catholiques et huguenots.

Par la dimension historique et pédagogique qu’il lui donne, François Nautré crée une œuvre singulière qui n’entre ni dans la série de représentations de villes qui apparaissent dans la gravure vers 1550, même il se qualifie sur la tranche de la table du dolmen de la Pierre Levée de «Politopographis», ni dans la série des « batailles », décor à la mode des galeries royales et princières. Son but est autre : il célèbre la grandeur d’une ville qui vient de se voir refuser à plusieurs reprises l’établissement d’un parlement et se souvient de son lustre passé.

Les honnetes loisirs de messire François Le Poulchre chevalier de l’Ordre du Roy Cappitaine de cinquante hommes d’armes de ses Ordonnances, Seigneur de la Motte Messemé A Paris – chez Marc Orry -1587
Sixième livre, Jupiter p.160
« … où d’un boys bien couvert, le lendemain matin
il veit fort aysement marcher toute l’armée,
qui d’assieger Poytiers se monstrait affammée. »

Sixième livre, Jupiter p. 175-76
Après avoir rompu le moulin de Tizon,
Tachant de nous avoir par une autre facon
En autre part alla dresser sa batterie.
L’eau rompant ses dessains il eust à celle à l’oeil
Sur tout de s’essayer nous oster Rochereuil
Fauxbourg que maugré luy bravement nous gardames,
Tans que dura le siège au nez de ses gens d’armes
Comme estant l’arrest seul qui retenait notre eau.
Doncques battant le pont il se print au chasteau…[...]
Dont l’une des tours il feist telle ruine
Que nullement en haut plus pouvant habiter


Marin Liberge
Le siege de Poictiers et ample discours de ce qui s’y est faict et passé és mois de Iuillet , Aoust et Septembre 1569 …
A Poictiers, Par Pierre Boisateau, 1570
Marin Liberge, p.18
Le lundy premier jour d’aoust, jour fatal, ce craignaient les superstitieux,
à cette pauvre ville, pour avoir ésté à tel jour (il y a sept ans) prinse et
pillée, ls ennemys ayant dressé leurs gabions et batteries sur le rocher
et cousteau qui est devant le pont à Joubert, au dessus et entre les faulxbourgs
de Pimpaneau et de Sainct Sornin commancerent à battre de huyt
ou neuf pièce