Un portrait de ville

Lorsqu’il est choisi pour exécuter cette importante commande, François Nautré est un peintre reconnu à Poitiers. Il y exerce son métier depuis longtemps puisque son contrat de mariage rédigé en décembre 1599 le dit « maître en l’art de peinture à Poitiers » et divers actes mentionnent la présence d’élèves et d’apprentis à ses côtés. Bien établi dans la ville et jouissant d’une bonne réputation, il reçoit la charge de visiter les peintures du jubé de la cathédrale en 1616.

Les documents d’archives très lacunaires le montrent proche des milieux de marchands mais ne donnent aucune information quant à sa naissance, sa formation ou sa carrière artistique. Une seule source renseigne sur sa personnalité et ses goûts : l’inventaire successoral dressé en 1609 à la mort de sa première épouse qui décrit son mobilier, caractéristique de la petite bourgeoisie de l’époque. Il possède quelques livres d’art, dont deux d’architecture en italien, « cinq tableaux en détrempe », des armes, poignards, rondelles, un poitrinal, deux arquebuses, deux hallebardes et un pistolet « façon d’Allemagne ». Marié deux fois, père de famille nombreuse (14 enfants), il meurt le 23 septembre 1625 et est enterré dans l’église Saint-Didier.

Poitevin,il habite en face du couvent des Cordeliers, François Nautré manifeste à travers sa peinture sa parfaite connaissance de Poitiers, de la géographie urbaine et du déroulement du siège. Peut-être témoin oculaire ou nourri des récits de ceux ont participé aux combats, il s’appuie en tout cas sur les chroniques écrites par les contemporains, Liberge, Michel Le Riche, François le Poulchre de Messemé, un des plus valeureux défenseurs.

Les honnetes loisirs de messire François Le Poulchre chevalier de l’Ordre du Roy Cappitaine de cinquante hommes d’armes de ses Ordonnances, Seigneur de la Motte Messemé A Paris – chez Marc Orry -1587
Sixième livre, Jupiter p.160
« … où d’un boys bien couvert, le lendemain matin
il veit fort aysement marcher toute l’armée,
qui d’assieger Poytiers se monstrait affammée. »

Sixième livre, Jupiter p. 175-76
Après avoir rompu le moulin de Tizon,
Tachant de nous avoir par une autre facon
En autre part alla dresser sa batterie.
L’eau rompant ses dessains il eust à celle à l’oeil
Sur tout de s’essayer nous oster Rochereuil
Fauxbourg que maugré luy bravement nous gardames,
Tans que dura le siège au nez de ses gens d’armes
Comme estant l’arrest seul qui retenait notre eau.
Doncques battant le pont il se print au chasteau…[...]
Dont l’une des tours il feist telle ruine
Que nullement en haut plus pouvant habiter

Brossant un large panorama, il invente une vue cavalière originale et improbable que le spectateur embrasse d’un seul regard et à laquelle les détails fournis et vérifiables donnent l’apparence d’une réalité concrète. Dans un paysage immense, il met en scène la ville protégée par ses remparts, enserrée entre la vallée du Clain et les marais de la Boivre, note les escarpements rocheux de la Cueille ou des Dunes, et décrit les faubourgs élargis aux villages proches, détaillant même les champs et leurs cultures.

vue générale d la ville de Poitiers

Il compose ce qui semble être un véritable portrait de ville, fidèle, traçant avec exactitude rue par rue les bâtiments publics et les demeures. Les quartiers sont bien rendus, avec leurs églises, leurs hôtels particuliers et leurs spécificités. De petites croix blanches marquent les limites des paroisses. Tout paraît juste, parfaitement identifiable et cohérent. Souscrivant aux intentions municipales, Nautré s’attache avant tout à décrire l’épisode militaire. Il campe les chefs protestants sur le plateau des Dunes dirigeant les manœuvres, les escarmouches tout autour de la ville, le cantonnement installé près de l’Hôpital des Champs, les mouvements des escadrons de reîtres et de lansquenets.

Les commandants protestants Les chefs protestants au premier plan du tableau

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