La chronique d'un siège

Il montre les murs éboulés, les canons qui bombardent la ville et ceux qui répondent, les flammes qui détruisent les maisons. Il peint les assaillants en pleine action, leurs ruses déjouées, les défenseurs, piétons ou cavaliers, aux aguets, massés derrière les murailles et prêts à intervenir. Il souligne même les astuces qui ont aidé les poitevins à survivre, comme les draps tendus en travers de la Grand’rue pour masquer les déplacements des habitants et des soldats et les palles d’osier installées entre les arches du pont de Rochereuil pour retenir l’eau en amont du camp ennemi et gonfler artificiellement le cours de la rivière dans ses parties les plus vulnérables. Par la multiplication des saynètes de lutte, il réussit à suggérer la violence et la fureur des combats et à les inscrire dans la durée du siège, et par retour, à glorifier l’action héroïque des défenseurs, qui sont souvent les pères ou les grands-pères des commanditaires.

Les draps tendus en travers de la Grand'rue Les draps tendus en travers de la Grand'rue Les draps tendus en travers de la Grand'rue (à gauche) et une scène d'incendie (à droite).

François Nautré conçoit cette peinture très riche d’anecdotes comme un récit pictural concentré en une seule scène et il y insère de multiples notices descriptives ou explicatives à la manière des bulles des bandes dessinées, souvent datées, qui permettent d’en suivre jour après jour les diverses péripéties. Toutefois Nautré va bien au-delà du compte rendu visuel. Il offre à ses contemporains une triple lecture de la ville : il leur donne à voir l’image de la cité telle qu’elle était au printemps 1569, encore médiévale, avec des bâtiments qui ont disparu pendant le conflit ou peu après comme l’abbaye Saint-Cyprien ou le clocher de Saint-Hilaire ; peignant au début du XVIIe siècle, il veille à introduire les nouveaux édifices cultuels nés de la Contre-Réforme tels la chapelle Saint Louis, le couvent des Minimes et ceux des Feuillants ou des Capucins ; enfin, il dénonce l’horreur de la guerre alors que les troubles religieux ont repris à Poitiers depuis la mort d’Henri IV en 1610 et qu’ en 1616 les incidents se sont multipliés entre catholiques et huguenots.

Le bourg Saint Hilaire et le couvent des capucins
Le bourg Saint Hilaire et le couvent des capucins. Á l'arrière-plan on distingue des mouvements de cavaliers.

scène de bataille Une des scènes de bataille qui étoffent le tableau.

Par la dimension historique et pédagogique qu’il lui donne, François Nautré crée une œuvre singulière qui n’entre ni dans la série de représentations de villes qui apparaissent dans la gravure vers 1550, même il se qualifie sur la tranche de la table du dolmen de la Pierre Levée de «Politopographis», ni dans la série des « batailles », décor à la mode des galeries royales et princières. Son but est autre : il célèbre la grandeur d’une ville qui vient de se voir refuser à plusieurs reprises l’établissement d’un parlement et se souvient de son lustre passé.

Le dolmen de la poieere levée et la dédicace de françois Nautré Détail du dolmen de la pierre levée où apparaît la signature de l'artiste.

Marin Liberge
Le siege de Poictiers et ample discours de ce qui s’y est faict et passé és mois de Iuillet , Aoust et Septembre 1569 …
A Poictiers, Par Pierre Boisateau, 1570
Marin Liberge, p.18
Le lundy premier jour d’aoust, jour fatal, ce craignaient les superstitieux,
à cette pauvre ville, pour avoir ésté à tel jour (il y a sept ans) prinse et
pillée, ls ennemys ayant dressé leurs gabions et batteries sur le rocher
et cousteau qui est devant le pont à Joubert, au dessus et entre les faulxbourgs
de Pimpaneau et de Sainct Sornin commancerent à battre de huyt
ou neuf pièce

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