Age Roman : parcours en Charente-Maritime

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Introduction

Le département de la Charente-Maritime est constitué de deux provinces de l’Ancien Régime : la partie occidentale de la Saintonge autour de Saintes, et l’Aunis autour de La Rochelle. Au Moyen âge, ces deux provinces sont placées sous l’autorité des comtes de Poitou, ducs d’Aquitaine.

Le développement de l'Aunis s’est fait tardivement grâce à l'exploitation du sel, indispensable à la conservation des aliments et des produits de la pêche. Le duc d'Aquitaine, Guillaume X, a favorisé le développement de la toute jeune cité de La Rochelle en lui accordant, avant 1137, « des libertés et libres coutumes ».

En revanche, la Saintonge est prospère depuis l’Antiquité, l’autorité des évêques de Saintes assurant la cohésion d’un territoire où pouvaient s’affronter de petites seigneuries. L’art roman s’épanouit sur ce territoire au XIIe siècle. Les églises de campagne ont été construites ou adaptées au goût du jour  en reprenant les expériences innovantes d’édifices prestigieux comme Saint-Eutrope de Saintes, étape incontournable sur le chemin du pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle. Un plan simple domine : nef unique, chevet profond à pans coupés, portails sans tympan mais à voussures multiples recevant un généreux décor sculpté.

À Rioux, nous découvrirons un décor luxuriant, à Marignac une frise sculptée hébergeant tout un monde vivant, à Geay un édifice plus sobre aux détails finis avec une grande élégance. Et, pour souligner l’importance des influences artistiques, nous verrons les églises de Chadenac et de Fenioux dont les programmes iconographiques reprennent celui de Saint-Pierre d’Aulnay, dit « de Saintonge » mais en Poitou à l’époque, et l’église de Surgères, en Aunis, qui s’inspire de Notre-Dame de Poitiers (l’Aunis relevait directement des comtes de Poitou). Enfin, en parcourant les édifices de Pons (donjon, hôpital, églises), nous aurons un aperçu de la vie quotidienne au cours de l’âge roman.

 

Rioux : Notre-Dame de l’Assomption

C’est un lieu commun de dire qu'en Saintonge le décor roman est invasif. Deux églises de taille modeste, distantes de 12 km, Notre-Dame de Rioux et Saint-Trojan de Rétaud, en sont des manifestations célèbres pour la profusion et la richesse surprenante de leurs ornements. Construits dans la seconde moitié du XIIe siècle, ces deux édifices à nef unique et chevet à pans ont subi des remaniements au XVe siècle. L’église de Rétaud a été classée en 1862, tandis qu’il a fallu attendre 1903 pour sa voisine, dont l’abondance du décor suscitait quelques réticences. En 1959, François Eygun, directeur des Antiquités historiques, écrivait encore : « ce n’est plus la richesse élégante, mais l’exaspération d’une qualité poussée au-delà du raisonnable et jusqu’au mauvais goût ». Néanmoins, c’est à Rioux que nous nous arrêtons, car non seulement le chevet est remarquable, mais également la façade et, à l’intérieur, l’abside. Le décor souligne la structure de l’édifice : colonnes, chapiteaux, frises, voussures et corniches, mais avec une telle exubérance qu’il finit par les occulter.

La façade conserve l’agencement du troisième quart du XIIe siècle, à l’exception de l’oculus du pignon percé au XVe siècle. Ici, pas de division tripartite, mais un large portail à quatre voussures ornées de fleurettes, étoiles, losanges et rubans plissés traités en méplat. Au-dessus du puissant portail se déploient neuf arcatures dont les colonnettes sont décorées de fines « gaufrures », torsades, zigzags et écailles. Sur les chapiteaux prennent place des motifs géométriques ou de végétaux et d’animaux fantastiques. Au centre, une Vierge à l’Enfant s’inscrit dans une mandorle portée par quatre anges très mutilés. C’est le seul sujet religieux de l’édifice. Sa monumentalité est adoucie par la pose presque naturelle de ses pieds sur la mandorle. Les têtes de l’Enfant et de la Vierge ont été refaites. Les arcs ont reçu un décor dense et sans rupture d’entrelacs et de palmettes. Remarquez, sous le fronton animé par un appareil réticulé, les modillons sculptés de la corniche où se côtoient des figures humaines et des animaux réels ou fantastiques.

L’intérieur de cette église de campagne a subi les outrages de remaniements tardifs : l’aménagement du clocher gothique au XVe siècle et le voûtement de la nef au XIXe siècle. à l’âge roman appartiennent les arcs de décharge reposant sur des chapiteaux à corbeille lisse et le cordon orné de dents-de-scie et de demi-disques qui court le long du mur en contournant les tailloirs des colonnes. Ce motif est un trait typique de la région. L’abside qui abrite le chœur, lieu où le mystère s’accomplit, est plus richement décorée. Les cinq fenêtres en plein-cintre, aux pieds-droits habillés de fines colonnettes à chapiteaux, s’inscrivent dans une série d’amples arcatures. Le traitement de ces dernières est particulièrement original avec des colonnes constituées, à partir d’une certaine hauteur, d’assises décalées donnant une impression d’instabilité. Leurs chapiteaux finement sculptés de feuilles d’acanthes interprétées portent des arcs ornés de demi-disques opposés sous les rinceaux et feuillages stylisés de l’archivolte. Enfin, un cordon fait de deux rangs de denticules prend place à la base de la voûte en cul-de-four de l’abside. à l’intérieur, on remarque également, bien qu’ils ne soient pas de l’âge roman, une litre très repeinte présentant les blasons des seigneurs de Rioux (XVIe-XVIIIe siècles) et un groupe sculpté en bois polychrome représentant le mariage mystique de sainte Catherine (XVIe siècle).

Pour rejoindre le chevet, morceau de bravoure décoratif, il faut longer le mur sud orné de grands arcs de décharge retombant sur des contreforts. Le plus proche de la façade, décoré de dents-de-scie, est en plein-cintre, les autres sont en arc brisé. Le chevet présente, en plan, une abside à cinq pans sur une travée droite et, en élévation, trois registres d’arcatures qui ne sont pas sans évoquer celui de Geay, mais, à l’inverse de ce modèle de sobriété, le chevet de Rioux est envahi par toutes sortes de motifs décoratifs. L’intérieur des grandes arcatures du premier niveau est le domaine de la stéréotomie (art de tailler et disposer les pierres) avec des assises obliques, en zigzags ou en écailles de poisson qui semblent héritées de l’Antiquité tardive, très présente dans la région. à mi-hauteur, une assise décorée de marguerites court sur toute la longueur du chevet. Le second niveau, légèrement en retrait, est souligné par une corniche à décor d’entrelacs et reçoit les fenêtres qui éclairent l’abside. Ces dernières possèdent chacune une arcature s’inscrivant dans une seconde plus large. Au-dessus, un rang d’arcatures aux colonnettes curieusement annelées est distribué par séries de quatre. L’ensemble du décor est rythmé par de longues colonnes engagées cantonnant les pans de l’abside et, jusqu’à la corniche supérieure, aucun espace n’est laissé vide. Sur le chevet de l’église s’est déployé un vocabulaire ornemental fait d’éléments géométriques ou de végétaux stylisés dont les musées de la région conservent de nombreux exemples.

Le décor sculpté de l’église Notre-Dame de Rioux, qu’il soit ciselé ou en forte saillie, donne une dynamique à l’œuvre et fait jouer la lumière.

 

Fenioux : Notre-Dame de l’Assomption

À Fenioux, village de 250 habitants en pleine campagne saintongeaise, s’élève au flanc d’un vallon l’église Notre-Dame qui, comme bien d’autres dans le département, a subi l’influence artistique de l’église d’Aulnay. Très tôt reconnue comme un haut lieu de l’âge roman, elle fait partie de la première liste des 934 monuments classés, publiée en 1840.  La tour-lanterne de Fenioux, l’une des plus magnifiques qui nous soient parvenues, a été classée le 18 avril 1914.

Notre-Dame de Fenioux, particulièrement intéressante, a conservé des murs carolingiens et une remarquable façade sculptée du XIIe siècle.

Comme la plupart des églises de la région,  elle est dotée d’une nef unique. Les murs, élevés à la fin de la période carolingienne, sont en moellons, peut-être une réutilisation de maçonnerie antique. Plus extraordinaire encore, la nef conserve une série de fenêtres à claustra en pierre ajourée à motifs d’entrelacs, de vannerie ou de rosaces caractéristiques de cette époque.

De dimensions modestes, les claustras s’intègrent à des baies dont la partie supérieure est un monolithe gravé de lignes simulant les claveaux d’un arc avec une base excavée en plein-cintre. C’est une pratique courante à l’époque.

Lorsque l’édifice a été voûté en pierre, il a fallu renforcer les murs gouttereaux. Ils ont été doublés à l’ouest, et renforcés par des arcatures, des piliers et des colonnes à l’est, du côté du chœur. La voûte s’est écroulée au XIXe siècle, entraînant la destruction de la tribune qui avait été établie sur les deux premières travées. Les chapiteaux des colonnes qui supportaient la voûte de la tribune sont décorés d’acanthes avec des tailloirs à denticules et damiers s’inspirant de ceux de Saint-Eutrope de Saintes. Cette tribune était une particularité pour la région. était-elle une survivance de l’architecture carolingienne  ? Comment y accédait-on ? Probablement par un escalier communiquant avec la porte latérale nord, proche du portail. Quelle était sa fonction ? Peut-être accueillait-elle les personnes non encore baptisées, les catéchumènes.

L’abside, détruite au XVe siècle, a été remplacée par un chevet plat.

Quant à la façade, elle se distingue du parti généralement adopté en Saintonge, celui d’un portail central encadré de deux arcatures aveugles. Ici le portail unique, largement ébrasé et encadré par deux puissants et inhabituels faisceaux de colonnes occupe toute la façade. Il est constitué de cinq voussures portées par des colonnes à chapiteaux richement décorés de feuilles d’acanthes inspirées de l’Antiquité, mais interprétées comme à Saint-Pierre d’Aulnay ou à Saint-Eutrope de Saintes  ; elles sont sculptées en haut-relief et se détachent de la corbeille du chapiteau. Le deuxième chapiteau, sur la gauche, est orné de deux chimères dont les têtes sont coiffées d’un curieux bonnet. Deux griffons adossés, sur le premier chapiteau à droite de la porte, rappellent le motif que l’on trouve à Aulnay sur le quatrième pilier sud de la nef. L’analogie avec Aulnay est constante tel le chapiteau double, sous le zodiaque à droite, dérivé de celui qui supporte les Vierges sages du portail de la façade d’Aulnay : une tête mordue par des monstres. On reconnaît les mêmes êtres fantastiques nés d’une imagination débordante, les mêmes rinceaux habités d’animaux ou de petits personnages.

Le programme iconographique de Fenioux, comme celui de Chadenac, reprend les thèmes de l’église d’Aulnay : le combat des vices et des vertus, des anges encensant l’Agneau, la parabole des Vierges sages et des Vierges folles et enfin un zodiaque. Ce dernier, prétexte à une illustration libre des occupations des hommes au cours de l’année, débute avec le mois de janvier, alors qu’au XIIe siècle l’usage était de faire débuter l’année à Pâques. Un homme qui taille sa vigne symbolise le mois d’avril ; en mai, l’homme est à cheval avec une serpe  ; il fauche en juin et lie les gerbes en juillet ; il fait son vin en septembre et rentre son bétail en novembre : des bœufs mangent dans une auge. Les inscriptions latines désignent les signes et les mois. Les zodiaques permettent de magnifier les travaux des paysans et sont souvent représentés à l’époque médiévale. à l'âge roman, on en trouve aussi en décoration des objets les plus divers. C'est le cas du jeton de trictrac, conservé au musée de Niort et représentant le signe du « poisson ».

Comme dans l’art d’Aulnay, les personnages s’affinent, la silhouette animée de plis concentriques au niveau du ventre et plus allongés sur les jambes, les détails des costumes se précisent  : bliauds aux larges manches pendantes, galons et broderies sculptés.

Au-dessus du portail, une corniche ouvragée supporte six statues mutilées placées de part et d’autre d’un Christ en majesté et cantonné des symboles des évangélistes. C’est l’unique référence au Jugement dernier, connue en Saintonge. Une seconde corniche, richement ornée de divers motifs dans les métopes et de têtes grimaçantes sur les modillons, souligne le mur pignon. Celui-ci est percé d’une fenêtre au décor finement ciselé.

Sur le flanc nord de l’église, une très belle porte devait conduire à l’escalier desservant la tribune évoquée plus haut. Son décor presque entièrement floral (fleurs à six pétales et bouton central caractéristiques de la région) est animé par quelques chimères et un masque grotesque.

Le clocher a été refait au XIXe siècle par l’architecte Ballu.

Enfin, il faut aller voir la lanterne des morts dont le fût est constitué d’un faisceau de onze colonnes surmonté d’un fanal accessible par un escalier. Ces édifices, sujets d’une littérature abondante, ont donné lieu à des interprétations fantaisistes ou fantasmagoriques, comme la numérologie pour celle de Fenioux qui compte onze colonnes pour le fût et treize pour le fanal ! Les lanternes des morts posent encore problème quant à leur datation et leur fonction. Fréquentes en Limousin, Poitou et Saintonge, elles étaient situées au milieu des cimetières où leurs lanternons diffusaient de la lumière : on peut donc penser qu’elles avaient un rôle protecteur. Difficiles à dater, elles paraissent appartenir à l’âge roman comme les églises auxquelles elles sont souvent associées.

 

Geay : Notre-Dame de l’Assomption

Si l’art roman en Saintonge se caractérise par une décoration poussée, Notre-Dame de l’Assomption de Geay, ancienne dépendance de l’abbaye de la Chaise-Dieu en Auvergne, peut passer pour un édifice d’une grande sobriété. Elle compte, cependant, au nombre des joyaux de l’âge roman en Saintonge, en particulier pour son chevet, remarquable par la justesse de ses proportions, sa belle stéréotomie (art de tailler et disposer les pierres) et l’économie de son décor. De plus, elle présente l’avantage de n’avoir subi aucune restauration depuis le début du XIIe siècle, à l’exception du clocher octogonal érigé au XVIe siècle. Son plan est classique pour les églises de l’âge roman en Saintonge : une nef unique avec un transept très saillant doté d’absidioles orientées et un chevet profond formé d’une travée droite et d’une abside à cinq pans.

La façade est d’une grande austérité ; elle est rythmée par quatre hauts contreforts et percée d’une porte surmontée d’une petite fenêtre. Ces deux ouvertures en plein-cintre sont habillées d’une arcature aux chapiteaux sculptés. Ceux de la porte présentent, à gauche, une tête dont les moustaches évoluent en larges palmettes et, à droite, deux monstres à tête unique. Ils soutiennent une archivolte représentant une corde au-dessus d’un arc orné de triangles. La corniche qui couronne la façade ne possède pas de modillons sculptés contrairement aux habitudes de la région, elle souligne un fronton triangulaire dont les rampants reçoivent un discret motif de boules. Les murs de la nef, des bras du transept et des absidioles présentent la même simplicité. épaulés par des contreforts et percés de petites fenêtres sans décor, ils sont couronnés par une corniche à motifs géométriques. La première travée du mur sud est percée d’une porte en plein-cintre à voussure moulurée. La façade occidentale et les flancs de l’église donnent l’impression massive des édifices du début de l’âge roman.

En revanche, un sentiment de grande légèreté émane du profond chevet grâce à un jeu d’arcatures se superposant sur trois niveaux : une première série d’amples arcades aveugles laissent place aux arcatures percées de hautes baies en plein-cintre du second niveau, surmontées de petites arcatures aveugles distribuées par groupes de trois. Seule la travée droite du chevet est dépourvue de fenêtre et présente au niveau intermédiaire un mur plat. L’ensemble est rythmé sur toute la hauteur par des contreforts-colonnes qui présentent un léger retrait à partir du second niveau. C’est la justesse de ces proportions qui donne son élégance au chevet où l’on reconnaît la même disposition qu’aux chapelles rayonnantes de Saint-Eutrope à Saintes. Cette ordonnance s’intègre à une série d’édifices dont font partie les chevets des églises de Rioux et de Rétaud qu’il ne faut pas manquer d’aller voir. Mais, alors que, sur ces derniers, le décor est luxuriant, à Geay il est discret et constitué de motifs décoratifs soignés : les arcs au-dessus des fenêtres sont ornés de dents de loups et leurs archivoltes de pointes de diamant ; au dernier niveau, les colonnes qui séparent les arcatures ont des chapiteaux simplement annelés. Il n’y a là rien d’original et les musées de la région conservent de nombreux échantillons de ces décors, mais, ici, ils sont traités avec une élégance rare. Quelques chapiteaux à feuilles d’acanthes rappellent ceux qui sont conservés au musée archéologique de Saintes. Les chapiteaux des colonnes de l’étage supérieur abritent d’étranges monstres.

À l’intérieur, le regard est intrigué par la croisée du transept. En effet, la construction de la coupole sur trompes a imposé des aménagements spécifiques : pour créer un plan carré, les bras du transept étant moins larges que la nef, l’architecte a élevé des colonnes qui ont rétréci l’espace, suffisamment pour y aménager des passages latéraux. Celui de droite a reçu l’escalier du clocher qui, en général, se trouve à l’extérieur de l’église.

Le même effet de rétrécissement a été nécessaire en hauteur, car les arcs de la croisée du transept sont plus bas que les voûtes de la nef et du chœur. La base de la coupole ainsi obtenue est un mur habillé sur ses quatre faces d’arcatures raffinées.

Dans la nef, les chapiteaux sont décorés de motifs simples qui soulignent leur structure. En revanche, ceux du chœur sont plus fouillés, en particulier à la jonction de l’abside et du chœur où ils sont ornés de monstres affrontés, et aux fenêtres où ils reçoivent des motifs de vannerie et de palmettes.

L’ensemble de l’édifice est particulièrement soigné : la taille de la pierre, les proportions, les motifs décoratifs simples mais précis et élégants. C’est de l’art roman dans toute sa pureté.

 

Chadenac : Saint-Martin

L’église Saint-Martin de Chadenac a subi de nombreux remaniements : le chœur et le bras droit du transept ont été modifiés à l’époque gothique et la nef à grandes arcatures a perdu ses voûtes. En revanche, elle a conservé sa façade sculptée qui lui a valu le surnom de « marquise de Saintonge ». C’est un joyau de l’âge roman du deuxième quart du XIIe siècle qui s’inspire de la façade occidentale d’Aulnay-de-Saintonge, chef-d’œuvre universellement reconnu et classé au patrimoine mondial.

L’élévation de la façade présente une ordonnance habituelle pour la région avec deux niveaux horizontaux animés par des jeux d’arcatures. Le premier niveau est composé d’un portail central entre deux arcatures aveugles, le second présente cinq arcatures géminées insérées dans de plus grandes dont les colonnes engagées sont de même module, alternativement simple ou triple. Sur le pignon, une unique arcature, dans l’axe, domine l’ensemble. Le premier niveau a reçu un programme iconographique caractéristique à l’époque en Saintonge et traité avec virtuosité mêlant influences antiques et barbares, réalisme et fantaisie.

Les voussures du portail central sont ornées de sculptures. Au centre, à la clef d’arc, un Christ en gloire, imberbe, couronné, est entouré d’anges adorateurs. De petite taille et en position frontale pour accueillir le fidèle, il occupe les deux premières voussures. Sa tête sépare les Vertus et les Vices dont les silhouettes épousent la forme de la voussure. Ce thème issu des sermons de Tertullien et de la Psychomachie de Prudence, auteurs chrétiens du Bas-Empire, est répandu en Poitou et en Saintonge dans les années 1120-1160. Les Vertus gardent l’entrée du sanctuaire. Elles sont représentées en guerrières, portent un heaume conique, un bliaud, un écu ovale et percent de leurs lances des monstres qui se trouvent à leurs pieds.

Au-dessus, une suite de personnages puis de monstres, qui parfois se battent, prolonge le message du combat des Vices et des Vertus.

Sur la cinquième voussure prend place la parabole des Vierges sages et des Vierges folles attendant l’époux céleste. Celui-ci est sculpté au centre et entouré, à gauche, des trois Vierges sages aux lampes allumées et, à droite, des trois Vierges folles qui ont leurs lampes éteintes. Les premières, sereines, trouveront le chemin du Paradis tandis que les secondes, affligées, expriment leur douleur, la tête inclinée sur la paume de leur main. La voussure suivante reprend des motifs d’animaux fabuleux, gueule menaçante et pattes croches, symbolisant le mal qui nous entoure ; ils sont placés sous huit personnages debout, nimbés, les pieds nus reposant sur un socle, représentant peut-être les apôtres ou les vieillards de l’Apocalypse. L’ensemble est surmonté d’une archivolte ornée de rinceaux très fouillés.

Ces sculptures en fort relief vibrent sous la lumière. Les personnages, élégants et habillés d’étoffe moulant leur corps, sont tous différents ce qui rend le portail très animé et vivant.

Dans les niches formées par les arcades latérales, deux grands personnages vêtus de longues robes plissées piétinent des monstres. Au-dessus, des lutteurs occupent les tympans aux voussures savamment ouvragées. Là encore se déploie un avertissement : il faut combattre le mal.

Les chapiteaux qui reçoivent les arcs sont sculptés avec délicatesse. Celui du premier pilastre, à gauche pour l’observateur, présente d’un côté un cavalier foulant un ennemi et, sur l’autre face, une femme. Il s’agit là très certainement d’un symbole de la victoire de la Chrétienté sur le paganisme, ce qui n’est pas sans rappeler le thème du cavalier sculpté aux façades de plusieurs églises et propre à la région Poitou-Charentes. Leur signification a donné lieu à de nombreuses interprétations : Constantin, Charlemagne, représentation d’un seigneur local ou, selon certains historiens, copie en pierre du bronze équestre (autrefois doré) de Marc-Aurèle au Capitole à Rome. En effet, de la même façon que le cheval de Marc-Aurèle foulait ses ennemis vaincus, se distingue sous le pas des chevaux de certains de ces cavaliers, à Melle notamment, un personnage étendu qui symboliserait le paganisme. La question n’est toujours pas résolue.

Sur les chapiteaux suivants se lisent des motifs décoratifs dont un monstre engoulant une colonne, sujet très répandu dans tout l’Ouest. à droite de la porte se distinguent l’Annonciation, la Visitation et l’Assomption où deux anges conduisent au ciel une mandorle dans laquelle la Vierge est inscrite. Sur les pilastres de droite, les saintes femmes accourent devant le tombeau du Christ pour l’embaumer ; il est vide, ce qui évoque la Résurrection.

Des colonnettes placées entre les voussures supportent des personnages ou des monstres. De gauche à droite, on remarque un guerrier, peut-être saint Georges, une femme en pied vêtue d’une robe à longues manches, un ange écrasant un monstre qui évoque l’archange saint Michel, et un dragon. Entre les arcatures latérales et la première corniche, sur le plat du mur, des lions et des lionnes dressés menacent leurs proies.

Les modillons de la première corniche sont d’une extrême variété et d’une grande qualité plastique ainsi que ceux du bras sud du transept.

Le programme des sculptures de la façade délivre un message : le Christ venu sur terre pour nous sauver, l’Incarnation est illustrée par les scènes de la vie de la Vierge. Il est retourné auprès de Dieu après avoir été crucifié, le Salut passe par la lutte contre le mal d’où le thème des Vertus terrassant les Vices, la mise en garde illustrée par l’opposition entre les Vierges sages, prévoyantes, qui ont rempli leurs lampes pour accueillir l’époux et les Vierges folles se tordant de douleur du fait de leur insouciance, les combats contre des monstres de saint Georges et de l’archange saint Michel.

Les sculpteurs ont sans doute été inspirés par l’œuvre de Saint-Pierre d’Aulnay dont l’influence est perceptible dans le programme iconographique comme dans le style de certaines sculptures : les Vertus et les Vierges sont traitées en quasi ronde-bosse avec autant de réalisme et de vivacité, les motifs décoratifs et les modillons ont la même fantaisie.

À l’intérieur de l’édifice subsistent encore quelques chapiteaux à entrelacs, feuillages et animaux fantastiques.

 

Surgères : Notre-Dame de l’Assomption

Dans les plaines d’Aunis, Notre-Dame de Surgères est insérée dans l’enclos de l’ancien château dont il ne reste que le mur d’enceinte, les tours rondes et les douves au sud. Elle appartenait aux comtes de Poitou qui en firent don à l’abbaye de Vendôme à la fin du XIe siècle. Il paraît donc naturel que le plan adopté soit de tradition poitevine avec une nef à collatéraux, un vaste transept à absidioles et un chevet semi-circulaire, alors que la Saintonge voisine, l’autre province constituant le département de la Charente-Maritime, propose en général des édifices à nef unique et chevet à pans coupés.

L’église a subi des modifications à l’époque gothique : les absidioles romanes ont été remplacées et les voûtes de la nef reconstruites (ces voûtes ont maintenant disparu). En mauvais état, l’église a été considérablement restaurée à la fin du XIXe siècle. Néanmoins, elle a conservé de très beaux ensembles appartenant à l’âge roman qui portent l’empreinte poitevine : la façade occidentale, le chœur, le chevet et le clocher.

La façade occidentale est l’une des plus amples du département. Quoique très restaurée au XIXe siècle, elle mérite l’attention pour le rythme et la qualité des sculptures encore en place. Plus large que haute, elle se présente comme un véritable écran à deux niveaux limité par des faisceaux de colonnes ; le pignon triangulaire percé d’une petite fenêtre et les murs gouttereaux de la nef sont en retrait, ce qui accentue l’impression d’écran plaqué sur l’édifice. Au premier niveau, sept arcatures régulières sont séparées par des colonnes s’élevant jusqu’à la première corniche. Le portail centré est sans tympan, comme souvent dans la région ; à l’époque moderne, une seconde porte a été percée dans la deuxième arcade de gauche. Les tympans des arcades les plus proches du portail sont habillés de sculptures en relief, très dégradées, et difficilement lisibles (Christ ? Cavalier ? Samson terrassant le lion ?). Le niveau supérieur a été restauré au XIXe siècle par l’architecte Lisch. Il respecte l’ordonnance du premier niveau avec, toutefois, quelques nuances : une grande arcature à gauche et, de chaque côté de la fenêtre d’axe, des travées plates surmontées de niche en plein-cintre. La fenêtre centrale est moderne et remplace une baie flamboyante du XVIe siècle. De part et d’autre, dans les niches, des cavaliers se font face et dominent les reliefs des arcatures du rez-de-chaussée. Le cavalier de droite est relativement bien conservé. Dans une pose naturelle, l’homme à cheval foule un vaincu : le cheval avance et le manteau du cavalier flotte au vent. Le thème du cavalier aux façades des églises est propre à la région Poitou-Charentes. Leur signification a donné lieu à de nombreuses interprétations : Constantin, Charlemagne, seigneur local ou réplique en pierre de la statue équestre en bronze (autrefois doré) de Marc-Aurèle au Capitole à Rome selon certains historiens. En effet, comme à Rome où le cheval de l’empereur foule les ennemis vaincus, on distingue ici, sous le pas de l’animal, un personnage étendu qui serait une représentation symbolique du paganisme (à Melle comme à Surgères).

Une partie du décor sculpté a été remplacée au XIXe siècle. Néanmoins, les chapiteaux du rez-de-chaussée, les métopes et les modillons des deux corniches constituent un ensemble de grande qualité dans la lignée des sculptures de Saint-Jean de Montierneuf à Poitiers. Parmi les chapiteaux, on remarque celui aux deux éléphants affrontés proche de celui du musée de Poitiers, provenant de Montierneuf, ou de celui de l’église Saint-Pierre d’Aulnay, mais aussi des chapiteaux aux griffons affrontées, aux chimères, aux lions tous finement ciselés. Les artistes puisaient leurs modèles dans les bestiaires, recueils d’animaux réels ou imaginaires avec leur signification morale et religieuse. Il n’est pas toujours aisé de nos jours de saisir le sens que pouvaient prendre, à l’époque romane, de telles représentations. Elles venaient rappeler au mauvais chrétien les horreurs qui l’attendaient en Enfer, s’inspirant souvent de motifs venus d’Orient. Les musées de la région conservent de nombreux exemples de ces sculptures où s’exprime la fantaisie des artistes.

Les métopes et les modillons des corniches de l’église fourmillent d’anecdotes illustrant la vie quotidienne : montreurs d’ours, acrobates, singes musiciens, oiseaux, signes du zodiaque... et, à nouveau, un singulier bestiaire composé d’animaux fantastiques.

Le chevet très pur a été empâté par les deux absidioles gothiques. De sobres et élégantes colonnettes jumelées scandent son élévation et la corniche possède des modillons travaillés avec la même verve que ceux de la façade occidentale.

Le puissant clocher octogonal s’élève au-dessus de la croisée du transept. Il est éclairé par seize baies, hautes et fines, percées dans une arcature à colonnettes et rythmées par des colonnes semi-circulaires.

L’intérieur de l’église donne également une impression d’ampleur. Seul le massif oriental, croisée du transept et chœur, a conservé sa disposition de l’âge roman. Les piliers qui reçoivent la coupole sur trompes appartiennent à la campagne de construction la plus ancienne, vers 1100. Leurs chapiteaux sont de type poitevin : interprétation du style corinthien, feuilles grasses où se cachent des lions tels que les définit Marie-Thérèse Camus dans son ouvrage sur la sculpture romane du Poitou, paru en 2009. L’abside prend la lumière par trois fenêtres habillées d’arcatures et prenant appui sur un bandeau sculpté qui est travaillé, ainsi que les chapiteaux à feuillage, avec une extrême finesse. Les deux colonnettes de la fenêtre d’axe ont reçu des personnages que René Crozet a identifiés comme étant les représentations de l’Enfer et du Paradis.

 

Marignac : Saint-Sulpice

Quand on arrive devant le portail de cette ancienne dépendance de la riche abbaye de Charroux (Vienne), la sobriété du décor peut décevoir au regard de la luxuriance habituelle en Saintonge. Et pourtant, cet édifice construit au cours du premier tiers du XIIe siècle mérite la visite. L’intérêt du monument se concentre, à l’extérieur comme à l’intérieur, sur le chevet tréflé.

L’extérieur 

La façade présente trois niveaux séparés par deux puissantes corniches à modillons. Le profond portail occupe la largeur de l’édifice. Il est surmonté d’une série de cinq arcatures sous un mur pignon. Ces deux niveaux sont éclairés, chacun, par une petite fenêtre d’axe en plein-cintre. L’édifice qui aurait reçu des voûtes d’ogives au XIVe siècle (aujourd’hui disparues) a été consolidé par des contreforts. Les deux placés au droit de la façade ont reçu l’un, à droite, une arcature dans laquelle viennent se nicher deux statues et l’autre, à gauche, un dais qui devait abriter une sculpture.

Le chevet à plan tréflé est animé par de hautes colonnes engagées reliées dans leur partie haute par des séries de deux arceaux dont le pendant est soutenu par une console sculptée. La richesse du décor règne au niveau de la corniche sur les métopes, les modillons et les chapiteaux des colonnes, constituant une frise régulière. Les sculptures sont typiquement saintongeaises : motifs en pointes de diamant sur la corniche, modillons sculptés d’atlantes, de sonneurs de trompe, de figures encapuchonnées, de têtes de femmes, de duos d'animaux, de taureaux, sans oublier le tonnelet pour recueillir la production du vin qui a fait la richesse de la région au Moyen âge. Les métopes sont ornées de marguerites inspirées de l’Antiquité, d’entrelacs, de lions et d’oiseaux superposés. Remarquez la diversité des chapiteaux à feuilles d’acanthes dont certains hébergent des têtes d’hommes, ou à rinceaux dans lesquels se nichent des animaux extraordinaires et des acrobates. Le musée de Saintes conserve des éléments de sculptures provenant de l’église Saint-Eutrope que le (ou les) artiste(s) de Saint-Sulpice de Marignac avai(en)t sans doute contemplés.

L'intérieur

La nef à vaisseau unique a été remaniée : les voûtes romanes ont été remplacées par des voûtes gothiques (disparues) qui reposaient sur les colonnes et chapiteaux de l’âge roman. En revanche, si le chœur et le transept ont conservé leur agencement et leur décoration sculptée d’origine, les peintures datent du XIXe siècle. Le plan en trèfle de cette partie de l’église est une particularité rare en Saintonge qui rappelle peut-être des constructions antérieures à l’âge roman, qu’elles soient préromanes ou inspirées de l’Antiquité (balnéaires). La croisée du transept est couverte par une belle coupole, sur trompes en forme de coquilles, portée par quatre arcs brisés. Ceux placés dans l’axe de la nef et du chœur sont composés de claveaux en coussinets que l’on compare quelquefois à des livres empilés dont on verrait le dos. Quant aux arcs qui ouvrent sur les bras du transept, ils sont doubles et reposent sur des colonnes distinctes ; ils sont reliés par des claveaux laissant des vides à intervalles réguliers.

Le chœur et les chapelles formant les bras du transept sont voûtés en cul-de-four et éclairés par une petite fenêtre.

Tout cet ensemble, chœur et transept, est uni par une frise continue qui prolonge, à la base des voûtes, la sculpture des chapiteaux et de leurs tailloirs. Le motif des deux absides latérales est constitué de cannelures verticales au nord et en forme de « S » au sud. En revanche, sur les chapiteaux et dans le chœur se déploie un foisonnement de rinceaux et d’acanthes entrelacés où sont intégrées des scènes d’une grande vivacité.  On y découvre des oiseaux affrontés picorant une tête  ; une grande variété de lions, présentés de profil ou à deux corps, à tête humaine, avec la queue dessinant la volute d’un rinceau. Des scènes complètent le décor : chasse à l’arc, des chiens qui attaquent un cerf, un homme et une femme s’étreignant sous le regard d’un troisième (le mari ?), un homme assis dans l’angle d’un chapiteau attaqué par des oiseaux, bref, un monde où personnages et animaux s’ébattent joyeusement dans un style élégant, décoratif, hérité de Saint-Eutrope ou du portail de l’Abbaye-aux-Dames de Saintes.

 

Pons : cité médiévale

La ville de Pons est, au tournant du XIIe siècle, une place-forte importante et prospère qui accueille un flot croissant de pèlerins en route vers Saint-Jacques de Compostelle. Elle a conservé de précieux souvenirs de l’âge roman : un donjon et des remparts, des églises et un hôpital. Ces édifices qui appartiennent à la deuxième moitié du XIIe siècle permettent d’évoquer la vie quotidienne de cette époque.

Le donjon

Il domine la ville du haut de ses 33 mètres et constitue avec ses remparts la pièce maîtresse du système défensif. Détruit en 1179 par Richard Cœur de Lion, duc d’Aquitaine, il est relevé en 1187, donc moins de dix ans plus tard, par Geoffroy III de Pons.  Cette tour très imposante (26,45 m x 15,25 m) est l’une des dernières du Centre-Ouest datant de l’âge roman : son plan rectangulaire constitue un archaïsme à un moment où l’on commence à construire des donjons arrondis. Ces derniers, ne laissant aucun angle mort, seront mis à l’honneur sous Philippe-Auguste.

Les murs du donjon de Pons, en pierre de taille et raidis par des contreforts, ont 2,50 m d’épaisseur sur trois côtés et un peu plus de 4 m du côté nord. Jusqu’en 1904, le donjon était couronné d’un entablement percé de créneaux sur lesquels on devait installer des hourds en bois, sortes de balcons couverts, en encorbellement, que les défenseurs établissaient au haut des murailles pour lancer des projectiles sur les assaillants. Depuis 1904, il est couronné de mâchicoulis de fantaisie et d’échauguettes d’angle munies de meurtrières (les échauguettes apparaissent au XIIIe siècle et sont en bois comme les hourds).

Pour des raisons de sécurité, l’entrée du donjon, placée au nord, se faisait par le premier étage grâce à une échelle ou un escalier en bois, amovible en cas de conflit. Aujourd'hui, c'est un escalier à vis en pierre qui donne accès à une vaste salle éclairée, côté sud, par deux fenêtres géminées surmontées de deux autres fenêtres de plein-cintre. Toutes les autres ouvertures ont été percées ultérieurement en fonction des utilisations de l’édifice.

Le château de l’âge roman comprend un donjon entouré de remparts. C’est là que se réfugie la population des alentours en cas de guerre. Il faut imaginer dans la cour un potager et un verger, des porcs et des volailles, et de nombreux appentis en bois ou en pierre. Dans le donjon vivent le seigneur et sa famille, des chevaliers et des soldats, certains membres du clergé, des ouvriers et des servants. Au rez-de-chaussée se trouvent les réserves de nourriture ; au premier, la chambre du seigneur qui devient salle de réception le jour. Dans les étages supérieurs se trouvent les dortoirs pour les hommes et pour les femmes, une salle des gardes, une chapelle. Les seigneurs organisent régulièrement des fêtes. à l’instar de Guillaume IX, comte de Poitou (1071-1126) et le premier troubadour, Renaud et Geoffroy de Pons écrivent des poésies. Le 1er mai, les sires de Pons rassemblent poètes et jongleurs pour une grande fête qui devait avoir lieu dans la grande salle. Une tribune est alors peut-être dressée sur les quinze consoles en pierre placées à mi-étage sur le mur sud.

Il faut monter jusqu’à la plate-forme supérieure pour voir comment le donjon domine la campagne environnante. L’accès se fait par un escalier à vis où il subsiste de nombreux graffiti parmi lesquels se lisent des marques de tâcherons comme au donjon de Niort.

La chapelle Saint-Gilles

La basse cour de l’ancien château est aujourd’hui aménagée en jardin public. Il subsiste, à l’est, la chapelle Saint-Gilles qui, placée au-dessus de l’entrée du château, en assurait la protection divine selon une habitude courante au Moyen âge. Le portail qu’il faut découvrir en contournant le passage, présente un beau morceau de sculpture. En plein-cintre, il est habillé de voussures ornées de motifs géométriques parmi lesquels se reconnaissent les séries de tores donnant l’illusion de livres empilés que l’on retrouve à Chadenac et à Marignac. Les chapiteaux les mieux conservés, côté nord, sont sculptés de personnages et d’animaux sur fond de rinceaux comme à l’Abbaye-aux-Dames de Saintes, d’où une hypothèse de datation vers 1130.

L’église Saint-Vivien

L’église Saint-Vivien, sur le chemin de l’hôpital, bien que reconstruite et agrandie, conserve un portail digne d’intérêt pour la période qui nous concerne. Son décor, martelé et dégradé, est essentiellement composé de motifs géométriques. Il est placé entre deux arcatures qui abritent chacune une statue très mutilée, cette disposition rare en Saintonge tient peut-être au fait que Saint-Vivien était une dépendance de l’abbaye Saint-Florent près de Saumur.

L’Hôpital des pèlerins ou hôpital neuf

Bâti entre 1150 et 1180 par Geoffroy III de Pons, l’hôpital tenu par des chanoines était destiné à accueillir les enfants abandonnés, les malades et les pèlerins. Il est situé hors des murs pour limiter les risques d’épidémies, mais aussi pour accueillir les pèlerins allant à Saint-Jacques de Compostelle malgré une éventuelle fermeture des portes de la ville. Une légende fameuse, popularisée dès le VIIIe siècle, affirmait que l’apôtre Jacques, l’un des douze compagnons du Christ et frère aîné de Jean, aurait évangélisé l’Espagne avant de retourner en Palestine subir le martyr. Son corps, recueilli par ses compagnons et embarqué sur un bateau, aurait été conduit par un ange jusqu’en Galice pour y être enterré à l’endroit qui porte désormais son nom. C’est au moment des croisades et de la reconquista espagnole sur les royaumes musulmans de la péninsule que s’est développé le pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle. Un guide célèbre du XIIe siècle, attribué au moine poitevin Aimeri Picaud, décrit les routes qui, depuis Paris, mènent à Saint-Jacques : la via turonensis passe par Tours, Poitiers, Saintes et Pons qui est qualifiée « d’étape sûre et pacifique ». Le musée de Niort conserve dans ses collections une sculpture représentant un pèlerin reconnaissable à l’emblématique coquille Saint-Jacques, un mollusque bivalve du genre Pecten, pêché en Galice. Les autres attributs du pèlerin sont, dès la première moitié du XIIe siècle, le bourdon (bâton), la besace et le chapeau à larges bords.

L’hôpital est constitué de deux bâtiments perpendiculaires à la route réunis par un porche qui franchit l’ancienne voie reliant Saintes à Bordeaux, celle qu’empruntaient les pèlerins. On y accède par deux arcs surbaissés, sous une corniche à modillons et des oculi en demi-lune. Imposant (18 m x 10 m), il a trois travées de long, deux voûtées en berceau brisé aux extrémités et, au centre, la troisième est couverte d’une voûte sur croisée d’ogives sur laquelle s’élevait jadis une tour. C’est au niveau de cette travée centrale que s’ouvraient deux portails. L’un, à l'est, donnait sur une chapelle et l’autre, à l'ouest, sur une grande salle. Ils sont tous les deux en plein-cintre et de style typiquement saintongeais : pas de tympan, voussures soignées et décorées de motifs géométriques, chapiteaux à décor végétal inspiré de l’antique corinthien, à la goule (tête d’homme, de la bouche duquel part une colonne) et à entrelacs où la tradition locale reconnaît « l’anguille de Pons », pêchée dans la Seudre. Les murs sont ornés d'arcades surplombant des bancs et des enfeus. Les pèlerins y ont gravé des graffiti représentant des fers à cheval ou des croix.

La chapelle - aujourd'hui propriété privée d'un particulier - a sans doute été construite en premier. Elle aurait, pendant un temps, joué le rôle de salle des malades. Il n’en subsiste que le portail et la base du mur nord où s’ouvrent sept portes comme à l’hôpital d’Angers.

En sortant du porche vers le sud, et en dépassant les anciennes maisons des chanoines, on peut voir le mur de la chapelle sur la gauche.

La salle des malades (ouverte au public de juin à septembre) a été restaurée. Elle comprend trois vaisseaux séparés par des colonnes cylindriques qui reçoivent une magnifique charpente du XIIIe siècle. Le sol est maintenant couvert d’une résine colorée qui évoque la terre battue du Moyen âge. Les vitraux ont été réalisés par le maître verrier Jean-Dominique Fleury qui s’est inspiré de l’art roman saintongeais.

À l'extérieur et à l’extrémité occidentale, des latrines ont été découvertes. Elles sont aménagées sous un appentis qui donne accès à un jardin de type médiéval où poussent l'achillée millefeuille, la buglosse d'Italie, les réglisses sauvages, la camomille, l'armoise, la rue, la sauge...

Cet ensemble, protégé au titre des Monuments historiques, a également été classé au Patrimoine mondial en 2004, à l’occasion de l’inauguration de sa restauration entreprise en 1997.