église de Saint-Pierre-les-églises
En longeant la Vienne au départ de Civaux, sur la rive droite, se révèle, un peu en amont de Chauvigny, l'église de Saint-Pierre-les-églises. Pendant l'Antiquité, c'est ici que la voie impériale romaine qui reliait Bourges (Avaricum) à Poitiers (Lemonum) franchissait à gué la rivière. Une borne milliaire adossée au chevet de l'église rappelle ce lointain passé. Dans le cimetière environnant, il subsiste quelques sarcophages mérovingiens dont les couvercles sont ornés, pour la plupart, d'une bande longitudinale recoupée de trois bandes transversales du même type que ceux que l'on voit à Civaux.
D'autres cimetières mérovingiens sont connus entre Civaux et Chauvigny. Ils ont été repérés à l'occasion de fouilles archéologiques à « Cubord-les-Claireaux » et à la « Maison Neuve », commune de Valdivienne.
L'église de Saint-Pierre-les-églises présente un plan simple avec une nef rectangulaire ouvrant sur une abside semi-circulaire. L'ensemble était couvert d'une charpente. Au XIe siècle, l'abside a été surélevée pour recevoir une voûte en pierre, renforcée à l'intérieur par un arc-doubleau reposant sur deux colonnes adossées au mur. Les chapiteaux sculptés de ces colonnes sont ornés de feuillages stylisés caractéristiques du tout début de l'art roman.
La notoriété de l'église tient à l'exceptionnelle conservation d'une fresque qui couvre la totalité de l'abside. Nous rappelons que la peinture a fresco consiste à appliquer des couleurs sur un enduit frais à base de chaux, technique qui assure la pérennité de l'œuvre aussi longtemps que les conditions environnementales restent favorables. Les pigments utilisés à Saint-Pierre-les-églises sont peu nombreux (ocre rouge, ocre jaune, blanc et gris) et l'usure fait paraître l'ensemble en camaïeu.
Les scènes historiées, rythmées par les trois fenêtres de l'abside, sont déployées sur deux registres séparés par une alternance de lignes blanches et grises. Les thèmes concernent l'enfance du Christ, la Crucifixion et un épisode de l'Apocalypse. Dans la partie sud de l'abside, l'usure de la fresque ne permet plus d'identifier les sujets.
Les deux scènes de part et d'autre de la fenêtre d'axe, au registre supérieur, sont particulièrement développées. à gauche, la Visitation illustre la rencontre entre Marie et sa cousine élizabeth, elle réunit ici cinq personnages. Au centre, élisabeth se précipite pour accueillir la Vierge ; celle-ci conserve l'attitude réservée qui lui est caractéristique, près d'elle se tient une jeune femme. Derrière élizabeth, une autre jeune femme se retourne vers Zacharie, époux d'élisabeth, comme pour le prendre à témoin de l'événement. Malgré l'usure, la dynamique exprimée dans cette scène par les gestes des mains, les mouvements des corps et le jeu de regards est remarquable.
à droite, prend place un épisode rare de la Nativité, le bain de l'Enfant, qui n'est connu que par les textes apocryphes. Marie est allongée et vient de mettre au monde l'enfant Jésus. Celui-ci est pris en charge par trois sages-femmes. La première, présentée de face à gauche de la scène, tient deux amphores contenant des onguents ; la seconde de profil apporte un vêtement blanc destiné à habiller l'Enfant ; la troisième procède au bain. La silhouette de l'Enfant est à peine discernable. L'événement prend place dans une grotte, symbolisée par une ligne blanche en demi-cercle au-dessus de Marie et à laquelle pend une draperie donnant une certaine intimité à l'ensemble. La base d'une tunique et un pied subsistant à droite de la scène suggère l'éventuelle présence de Joseph.
Sous la Visitation prennent place deux scènes qui représentent la chevauchée et l'adoration des Mages. Dans un premier temps, trois cavaliers portant des coiffes pointues de type oriental et tenant de longues hampes voyagent vers Bethléem sur des chevaux richement harnachés. Dans un second temps, ils se prosternent devant l'Enfant Jésus qui se tient sur les genoux de la Vierge assise sur un trône. Ils offrent des coupes qui, selon l'évangile de Saint Mathieu, contiennent de l'or (symbole de la royauté, le Christ est le roi des Juifs), de l'encens (symbole du sacerdoce, le Christ est le fils de Dieu) et de la myrrhe (symbole de la mort, le Christ est fils de l'homme donc mortel).
à droite, sous la Nativité, la scène illustre un épisode de l'Apocalypse. Il s'agit du combat entre l'archange saint Michel et la bête de l'Apocalypse. La scène est extraordinaire de vivacité. L'archange, protégé par un immense bouclier, perce d'un puissant coup de lance le flanc du monstre qui semble se débattre. La victoire de saint Michel annonce le retour triomphant du Christ rédempteur.
La partie gauche du chœur est consacrée à la Crucifixion. Le Christ en croix, imberbe et nimbé, est vêtu du périzonium, un linge lui entourant les hanches. Au-dessus des bras de la croix sont symbolisés le soleil, presque effacé, et la lune. Aux pieds du Christ se trouve un calice qui reçoit le sang s'écoulant de ses plaies. De part et d'autre de la croix prennent place plusieurs personnages. D'un côté, le soldat romain Longinus tient la lance avec laquelle il a percé le flanc du Christ, près de lui se tient Marie, la mère de Jésus, la tête inclinée et les mains jointes. à l'opposé, le « porte-éponge » tient dans une main le roseau à l'éponge et, dans l'autre, un seau. Un peu en arrière, apparaît le haut du corps de Marie-Madeleine, identifiable grâce à l'inscription Maria Mag|dalene, dont l'attitude reflète le chagrin et la désolation.
La scène se prolonge en retour d'angle, sur le revers du mur de l'arc triomphal, avec un personnage nimbé, connu par une inscription aujourd'hui presque effacée, Maria Jacobi. Elle présente un voile blanc largement déployé qui symbolise vraisemblablement le linceul vide du Christ ressuscité.
Cette fresque a été découverte par le curé de la paroisse en 1850 sous un badigeon blanc. Supposée romane dans un premier temps, il a fallu attendre l'analyse stylistique de Paul Deschamps, archiviste-paléographe et directeur du musée des Monuments Français, qui, en observant des détails précis, fut en mesure de l'attribuer à la tradition carolingienne dès 1950. Il s'est appuyé à la fois sur des caractéristiques iconographiques (le Christ en croix présente des dispositions que l'on ne retrouve pas à l'époque romane) et épigraphiques (la forme des « g » dans les inscriptions est typiquement carolingienne). Récemment, l'archéologue Bénédicte Palazzo-Bertholon a fait procéder à l'analyse au C14 de quelques charbons résiduels préservés dans l'œuvre. Le résultat a donné une fourchette de datation comprise entre 782 et 984. Ainsi, la région qui abrite l'un des plus beaux ensembles peints de la période romane (Saint-Savin, XIe siècle, classé au patrimoine mondial par l'UNESCO), peut s'enorgueillir de posséder une fresque carolingienne, l'une des plus anciennes de France pour la période médiévale avec celle de la crypte de Saint-Germain d'Auxerre et conservée in situ.