église de Civaux
La vallée de la Vienne, aux environs de Civaux, est riche en vestiges archéologiques et historiques qui témoignent d'établissements humains à toutes les époques depuis le Paléolithique (environ 350 000 ans). à Civaux, c'est la présence d'une vaste nécropole mérovingienne — selon les légendes, une pluie de sarcophages aurait permis d'ensevelir les morts après la bataille, qui aurait eu lieu à Civaux (!), entre Clovis, roi des Francs, et Alaric, roi des Wisigoths, en 507 — qui a intrigué les historiens et assuré la renommée du lieu.
Relativement importante pendant l'Antiquité (artisanats, théâtre, sanctuaires), la ville est devenue le siège d'une viguerie à l'époque carolingienne avant de perdre progressivement son influence à partir de l'an mille.
Deux découvertes majeures caractérisent le site de Civaux. La première, fortuite, est une stèle funéraire ornée d'un chrisme entre l'Alpha et l'Omega et gravée d'une inscription datée du IVe siècle : AETERNALIS ET SERVILLA VIVATIS IN DEO. Cette stèle est l'un des plus anciens témoignages de la présence d'une communauté chrétienne en Poitou. Elle est contemporaine de saint Hilaire, évêque de Poitiers (342-368) et de saint Martin, fondateur du monastère de Ligugé (360-370).
La seconde est la mise au jour, lors de fouilles archéologiques dirigées par François Eygun en 1960, d'une piscine baptismale mérovingienne dont la présence en dehors du siège épiscopal est rarissime.
L'église de Civaux, élevée sur l'emplacement d'un ancien temple gallo-romain, a subi du VIIe au XIIe siècle plusieurs campagnes de construction qui ont exceptionnellement préservé des éléments anciens. Elle est dédiée à saint Gervais et à saint Protais dont le culte paraît s'être rapidement développé après la découverte de leurs reliques à Milan en 386.
La partie la plus ancienne de l'édifice appartient à l'époque mérovingienne.
Il s'agit de l'abside heptagonale
construite avec un petit appareil cubique
à joints épais, issu de la tradition romaine, associé à des blocs
allongés, le tout disposé en assises régulières.
Les angles sont formés de pierres taillées à chaque assise. Les arcs en plein-cintre
des trois fenêtres qui éclairent le chœur
sont faits de minces claveaux extradossés d'un cordon de tuiles qui se prolonge en retour
d'angle au niveau des impostes. D'autres tuiles séparent les claveaux. Le décor
est complété par deux motifs en losanges placés de part et d'autre de la
fenêtre d'axe.
La piscine baptismale présente un type de construction similaire à celui de
l'abside :
une structure polygonale (plan en losange) avec l'emploi d'un appareil allongé. Ces procédés
sont ceux que l'on retrouve dans les constructions mérovingiennes de la région. L'abside et la piscine,
vraisemblablement contemporaines, pourraient dater du VIe ou VIIe siècle. Selon Brigitte
Boissavit-Camus, archéologue, responsable des fouilles conduites à la fin des années
80, il est possible que l'ensemble des bâtiments ait été ceint de murs, hérités
du temple antique dont il reste les fondations, afin de délimiter un espace de
circulation réservé à l'exercice du culte.
La nef aurait été reconstruite au début du XIe siècle, en même
temps que la souche du clocher. Les murs de la nef sont constitués de petits moellons irréguliers
et rythmés par l'alternance des contreforts plats et des baies hautes. Ces dernières, étroites,
sont surmontées d'un linteau en hémicycle gravé de fines lignes simulant un
arc appareillé dans un style très répandu avant l'an mille, mais qui tend
à disparaître ensuite. Le clocher est curieusement placé au-dessus du chœur
qu'il encombre par les énormes piles nécessaires à son
soutènement. Les trois niveaux supérieurs sont matérialisés par des
corniches. Le premier est aveugle et possède des contreforts d'angle, les deux derniers
sont éclairés par des baies libres. Au second niveau, les baies s'inscrivent dans un mur plat,
tandis qu'au troisième, elles sont dotées de deux rangs de claveaux descendant le long des jambages et surmontées
d'un cordon mouluré continu sur les quatre faces. Le clocher est coiffé d'une
élégante couverture pyramidale en pierres.
La façade assume la forme générale d'un quadrilatère surmonté d'un
imposant pignon triangulaire. Le décor est concentré sur l'élégante
corniche qui délimite le pignon, constituée de petites arcatures reposant sur des
modillons sculptés.
De puissants contreforts soutiennent la
façade. L'un d'eux, au nord, a été refait au XIVe ou XVe siècle. Au centre,
le portail sans tympan est orné d'un simple rouleau. Il est surmonté d'une baie en plein-cintre à voussures et couronnée d'un fin
cordon reposant sur des culots sculptés. Une inscription de dédicace
gravée près de l'entrée de l'église est partiellement conservée,
elle paraît dater du tout début du XIIe siècle.
La nef, charpentée à l'origine, a été voûtée à l'époque romane. Pour assurer la stabilité des voûtes, il a été nécessaire de diviser l'espace de la nef par deux séries de colonnes. Ces colonnes rondes, maçonnées en pierres de taille, supportent des chapiteaux sculptés aux décors particulièrement variés et où se perçoivent les influences d'édifices voisins comme la collégiale Saint-Pierre de Chauvigny (XIIe siècle).
Certains chapiteaux sont ornés de végétaux stylisés ou de motifs géométriques, d'autres font appel à un bestiaire fantastique, une dernière série illustre des thèmes à valeur symbolique (oiseaux s'abreuvant à une coupe) ou morale (couple se donnant la main, marin expulsé de son bateau par une sirène).
Le chœur est placé dans l'abside mérovingienne. L'espace a été réduit par l'implantation des piles qui soutiennent le clocher et qui dessinent un genre de faux déambulatoire assez maladroit. C'est sur la face interne du mur de l'abside que la stèle gravée du IVe siècle a été encastrée. Elle avait été découverte sur ce même mur, à l'extérieur, à l'occasion des travaux d'agrandissement de la fenêtre d'axe (celle-ci a retrouvé son allure primitive lors d'une récente campagne de restauration).
Les voûtes et les enduits peints ont été refaits au XIXe siècle. Le décor associe des rinceaux et des motifs décoratifs au faux appareillage (la région conserve des enduits romans à faux joints de pierres notamment dans la chapelle castrale d'Argenton-Château). En 1866, l'artiste poitevin Honoré Hivonnait a peint, à l'entrée du chœur, les saints Gervais et Protais tenant la palme des martyrs.
à quelques dizaines de mètres de l'église, le cimetière de Civaux est un lieu qui invite au romantisme. Au milieu des cyprès, des centaines de sarcophages jonchent le sol. La clôture elle-même est faite de dalles funéraires. Ce sont les vestiges de l'immense nécropole mérovingienne qui rassemblait plusieurs milliers de tombes.