Abbaye Saint-Sauveur de Charroux
En arrivant à Charroux, le visiteur ne peut être qu'impressionné par la présence d'une haute tour-lanterne, dite « Tour de Charlemagne », datant du XIe siècle. C'est le seul vestige que les guerres de Religion et la Révolution française ont laissé de la puissante abbaye Saint-Sauveur.
Aux confins du Poitou et du Limousin, Charroux était la capitale de la Basse-Marche. Son emplacement, éminemment stratégique à la croisée de divers axes économique, religieux et politique, en faisait un bourg dynamique dont les foires attiraient une foule nombreuse.
En 784, le comte de Limoges, Roger, et son épouse, Euphrasie, fondèrent à Charroux, l'abbaye Saint-Sauveur. La nouvelle abbaye a très vite bénéficié des libéralités des souverains carolingiens à l'instar des abbayes de Saint-Maixent, Nouaillé, Saint-Savin, Saint-Jean-d'Angély, Saint-Cyprien de Poitiers ou Saint-Cybard d'Angoulême. Elle connut une influence et un rayonnement grandissants, son abbé exerçait un réel pouvoir politique et, en 830, l'abbaye Saint-Sauveur réunissait déjà quatre-vingt-quatre moines.
Quatre conciles ont été réunis à Charroux entre 989 et 1086 dont celui qui est à l'origine de l'institution de la Paix de Dieu (989). L'empire carolingien était alors sur le déclin. Hugues Capet venait d'être couronné (987) mais son pouvoir restait faible, malmené par l'émergence de puissances locales rivales qui engendrait un climat d'insécurité et de violence. Les autorités religieuses désireuses de protéger les populations (et elles-mêmes) contre ces exactions définirent la Paix de Dieu qui condamnait ceux qui volaient les pauvres, pillaient les églises et agressaient les membres du clergé. Plus tard, l'instauration de la Trêve de Dieu (concile de Toulouse, 1027) compléta l'interdit en prohibant la guerre certains jours de la semaine et pendant des périodes déterminées de l'année.
L'abbaye Saint-Sauveur était un haut lieu de pèlerinage. Le sanctuaire conservait de précieuses reliques, les plus illustres étant une relique de la vraie Croix, don attribué à l'empereur Charlemagne, et le saint Prépuce, évoquant la Circoncision de Jésus, qui aurait été acquis de façon miraculeuse. En Poitou, l'abbaye Sainte-Croix de Poitiers avait déjà acquis une relique de la vraie Croix remise à sa fondatrice, Sainte Radegonde, en 567, par l'empereur de Constantinople.
Les premières élévations carolingiennes de l'abbaye ont laissé peu de traces. Deux chapiteaux à entrelacs sont conservés à Charroux et, au musée de Poitiers, un fragment de l'inscription funéraire de Juste, abbé de Charroux au IXe siècle.
L'abbatiale a été reconstruite au XIe siècle après une série d'incendies. Centre de création artistique, l'édifice adoptait de nouveaux modes de construction (piles quadrilobées, nef à collatéraux percés de fenêtres hautes, voûtes en pierre) tout en conservant certains archaïsmes issus de l'architecture carolingienne (clocher-porche, abside à pans coupés). C'était l'une des plus grandes églises de la chrétienté (114 mètres de long) avec un plan original qui intégrait une vaste rotonde entre le chœur et la nef. Plusieurs édifices religieux avaient, à la même époque, choisi cette formule qui assumait une fonction funéraire (bâtie au-dessus d'une crypte) et symbolisait la Résurrection (Saint-Sépulcre de Jérusalem, Saint-Bénigne de Dijon).
La présence à Charroux de reliques de la vraie Croix aurait-elle motivée ce choix ?
à Dijon, l'abbatiale, édifiée au début du XIe siècle par le lombard Guillaume de Volpiano, présente une rotonde à trois étages composée de trois déambulatoires à colonnes monolithes autour d'une partie centrale ouverte sur toute la hauteur. Celle de Charroux présentait également trois collatéraux concentriques dont il ne reste aujourd'hui que le noyau central.
Dans la Vienne, l'octogone de la Maison-Dieu de Montmorillon s'inscrit dans cette famille d'édifices dont il traduit clairement la valeur symbolique puisqu'il se situait au centre du cimetière de cette ancienne maison de charité, fondée par un pèlerin au retour de Jérusalem : la salle basse servait d'ossuaire et la salle haute de chapelle.
Les fouilles archéologiques, menées sur le site de l'ancienne abbatiale, ont révélé les bases de structures qui permettent d'évaluer l'ampleur et la complexité de l'édifice.
La tour-lanterne s'élève à l'emplacement de la croisée du transept, au-dessus de la crypte. L'aménagement de la crypte, a posteriori, avait imposé une surélévation du sol, de trois mètres environ, et donc de l'autel au-dessus. Au nord et au sud de la rotonde, prenaient place les bras d'un transept à absidioles ; à l'est s'ouvrait le chœur à déambulatoire et chapelles rayonnantes ; vers l'ouest s'étirait une longue nef à trois vaisseaux.
Le visiteur entre dans l'espace de la basilique par le chœur. Pour apprécier celui-ci, il convient de rejoindre la tour-lanterne et, de ce point, repérer l'ensemble formé par les vestiges des colonnes, murs et bases de murs dégagés lors des fouilles archéologiques. Quelques élévations subsistent vers la droite (absidiole sud). L'aménagement d'un tel espace permettait d'accueillir et de laisser circuler un grand nombre de pèlerins sans perturber d'éventuelles cérémonies, ou le recueillement des moines. L'accès à la crypte se faisait par un escalier situé au nord-est. Une très belle dalle sculptée, engagée dans un mur, est ornée de deux oiseaux presque en ronde-bosse et buvant dans un calice.
La tour-lanterne présente un plan octogonal. La partie basse est constituée de huit piles quadrilobées reliées entre elles, à mi-hauteur, par une série d'arcs en plein-cintre qui supportent les arcatures supérieures. Sur la face externe des piles, les colonnes unissent les deux séries d'arcades qui se trouvaient à l'intérieur de l'abbatiale, tandis que, sur la face interne, elles s'élèvent jusqu'à la base de la coupole donnant une impression vertigineuse à la construction. Il reste, au-dessus de ce double niveau d'arcades, les traces d'arrachement de la voûte en berceau du premier déambulatoire circulaire.
La partie haute de la tour qui dominait l'église possède des murs pleins, sauf à la base de la coupole où se trouvent des baies en plein-cintre. Elles éclairaient le chœur de la rotonde et l'autel surélevé attirant le regard du visiteur et produisant un effet saisissant, voulu, qui devait impressionner vivement les pèlerins. La verticalité de la construction, accentuée par les colonnes engagées aux angles de l'octogone, est délicatement rompue par les corniches, moulures et décrochements horizontaux qui rythment l'élévation.
Le décor sculpté prend place sur les chapiteaux des colonnes. Au premier niveau, les chapiteaux, composés de deux pierres superposées liées au mortier, font partie de la série d'un atelier dit « à feuilles grasses » dont la plus ancienne manifestation se reconnaît dans la crypte de l'abbatiale de Saint-Maixent. Son rayonnement s'est exercé pendant une vingtaine d'années (v. 1060-1080) sur des édifices tels Saint-Hilaire de Poitiers et Saint-Sauveur de Charroux. Les caractéristiques de cet atelier se décèlent également en Berry et en Normandie, jusqu'en Italie ou en Espagne.
à Charroux, deux chapiteaux présentent, sur la pierre supérieure, un décor de lions dont les têtes forment la volute d'angle. Aux étages, les chapiteaux ont des corbeilles lisses, autrefois peintes, à volutes d'angle.
En se rendant place du Parvis, le visiteur prend conscience de l'ampleur de l'abbatiale. Des maisons, installées dans le porche réaménagé à l'époque gothique, abritent les vestiges des portails. D'autres maisons occupent l'espace de la nef ou s'adossent aux murs laissant entrevoir, ici ou là, quelques-uns des contreforts romans. Une partie des anciens bâtiments conventuels gothiques est préservée et abrite maintenant un dépôt lapidaire où sont présentées des sculptures provenant du portail, une dalle romane ornée d'un arbre entre deux colombes, le trésor de l'abbaye et les deux chapiteaux carolingiens.
Le trésor de l'abbaye conserve quelques objets datant de l'époque romane. Il s'agit d'insignes de la fonction épiscopale. Le tau en bois de cerf (symbole du berger guidant son troupeau) et l'anneau pastoral (symbole de fidélité) proviennent de la tombe de Géraud, évêque de Limoges, décédé à Charroux en 1022 et inhumé dans l'abbatiale. Ils ont été découverts en 1850. Certains éléments de décor du tau, dit « Tau de Géraud », présentent quelques parentés de style avec le décor des chapiteaux de la tour-lanterne.
Pour finir la visite, il est recommandé de longer la rue Saint-Sulpice et de passer sous le porche de l'aumônerie pour découvrir, de façon aérienne, l'emprise au sol de l'abbatiale Saint-Sauveur.