De l'idée à la statue

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Introduction : les avatars de la sculpture

Plus encore que les autres, l'art de la sculpture se caractérise par des étapes techniques successives, souvent mises en œuvre par différents spécialistes, et donnant naissance à des versions nombreuses d'une même œuvre : esquisse, maquette en terre ou en plâtre, modèle, modèle mis-aux-points, statue définitive en tous matériaux, pierre, bronze, etc. Au-delà de l'œuvre aboutie, on trouve encore moulages, surmoulages, voire éditions en série en bronze, en terre, en biscuit... Cette variété infinie se reflète dans les collections de nos musées.

La taille directe

Les étapes pour parvenir à la sculpture définitive sont plus ou moins longues et les versions de l'œuvre plus ou moins nombreuses, selon les cultures, les époques ou les techniques choisies, ou encore selon le choix personnel de l'artiste. La taille directe de la pierre, du bois, ou de tout autre matériau, sans esquisse préalable, peut aboutir à une œuvre définitive unique. Du fait que le sculpteur réalise librement la sculpture de sa conception à sa finition, l'œuvre ainsi réalisée a souvent une force et une expressivité plus grandes. Le sculpteur doit avoir une maîtrise parfaite de son matériau et de sa technique car il est sans cesse à la merci d'une erreur, d'une maladresse. Mais il a aussi toute liberté pour utiliser avec bonheur les hasards de la taille et les accidents du matériau.

La fonte à cire perdue

La technique de la fonte à cire perdue peut éliminer complètement, comme son nom l'indique, le modelage de cire initial. Les cires perdues modernes sont souvent précédées de modèles en terre ou en plâtre qui seront conservés et moulés pour la réalisation du bronze à cire perdue.

L'esquisse

C'est sans doute pour les amateurs contemporains l'étape qui a le plus de charme : on perçoit dans l'esquisse l'idée première du sculpteur, avant qu'elle ait été enrobée par la technique ou parfois étouffée par les exigences du commanditaire. Réalisée dans toutes sortes de matériaux, plâtre direct ou souvent en argile, on y sent la main du sculpteur, on y décèle ses empreintes, on y lit la trace de l'outil et la nervosité du geste qui écrase les boulettes de terre. À ce stade, le sculpteur ne s'est pas encore préoccupé d'avoir un rendu anatomique juste, il n'a recherché que l'idée, le volume général, l'expression, le mouvement.

La maquette

Étape un peu plus élaborée que l'esquisse, pièce plus grande, c'est souvent un plâtre moulé sur le modelage en terre. C'est aussi la pièce que l'on présente au commanditaire ou au jury lors d'un concours. La maquette a en outre l'intérêt, quand elle subsiste sans avoir été retenue pour la réalisation définitive, de nous montrer l'embryon d'une œuvre avortée ; quand la maquette a été acceptée, elle met en lumière les modifications apportées dans la réalisation définitive.

Le modèle

Dès la Renaissance, afin de se mettre à l'abri des accidents de la taille directe, les sculpteurs occidentaux ont eu tendance à réaliser des modèles solides. Traduction finale de la maquette choisie, le modèle en plâtre a toute la finition et souvent les dimensions de la statue définitive (grand modèle). Afin d'être reproduit, le modèle est mis-aux-points par des techniques qui se sont perfectionnées au fil du temps : châssis, équerres, cercle gradué, trois compas et finalement machine à mettre-aux-points. La profession s'est aussi spécialisée, les sculpteurs se contentant souvent à partir du 17e siècle d'inventer des modèles destinés à la taille avec mise-aux-points ; des aides, des techniciens intermédiaires sont peu à peu apparus : le metteur-aux-points bien sûr, et le praticien (sculpteur copiste) chargé de la traduction sculptée du modèle, de son agrandissement ou de sa réduction.

Le modèle mis-aux-points

Le modèle définitif est mis-aux-points, c'est-à-dire équipé d'un réseau de points de repère principaux (points de basement et chefs-points matérialisés par un clou scellé sur une petite motte de plâtre au sommet des principaux reliefs) permettant un premier épannelage, dégrossissage de la forme et de repères secondaires et points justes (clous enfoncés jusqu'à la tête, points ou croix marqués au crayon) permettant la reproduction sans risque d'erreur du modelé et de la finition de l'ensemble. La contrainte servile qu'impose cette technique peut, à terme, en rendre le résultat plus monotone et standardisé.

Les éditions multiples

Les œuvres sculptées occidentales sont sans doute celles pour lesquelles les avatars se sont le plus multipliés, notamment avec ce goût immodéré pour la sculpture que l'on qualifia de « statuomanie » au tournant du 19e siècle. En effet, au-delà de l'œuvre définitive, se déclinèrent des avatars multiples, éditions en bronze, en fonte, en biscuit, de toutes tailles et de qualité très variable. Éditées pour la décoration artistique des intérieurs bourgeois, ce sont aussi souvent les véhicules d'une idéologie politique ou patriotique.

Les surmoulages

Dernier avatar et reflet d'une histoire qui fut souvent cruelle pour le patrimoine sculpté : ce sont des surmoulages, réalisés à la hâte en ultime sauvegarde des œuvres réquisitionnées pour la fonte par l'occupant en 1943. Plus heureusement, le surmoulage a parfois été pour l'artiste le moyen de conserver la trace d'une œuvre qu'il aimait. Raoul Verlet avait conservé dans son atelier le surmoulage du marbre, aujourd'hui à Orsay, du buste de son fils Paul.