Texte complet

Une pièce unique

Outils à vocation stratégique et à usage pédagogique, les plans-reliefs sont liés à la défense du territoire et leur création s'est généralisée à partir du XVIIe siècle.
Ces maquettes représentaient les places fortes françaises situées aux frontières du Royaume et dans les anciennes possessions françaises, ainsi que les villes étrangères prises à l'ennemi. Les places du Nord étaient plus largement représentées, comme celles de la façade atlantique.
Entre 1682 et 1707, les techniques de réalisation et l'échelle sont progressivement normalisées : l'échelle unique de 1/600e est adoptée pour la quasi totalité des maquettes.
C'est le cas pour la maquette de Rochefort. Elle est à l'échelle 1/500e pour l’arsenal et 1/600e pour la ville. Mais la Corderie elle-même bénéficie d’une échelle particulière de 1/550e.
Elle est constituée de 9 pièces ou « tables » de bois assemblées formant un disque de 485 cm de diamètre avec un rebord de 28 cm de haut montrant le paysage alentour en perspective et replaçant la ville dans une boucle du fleuve Charente.

Les différents matériaux utilisés pour sa fabrication sont du bois massif, du bois planchette (édifices, fortifications, chantier naval), de l’enduit plâtreux et de la toile remplacés en partie par du carton (toitures), des feuilles de plomb pour les cours d’eau et les canaux qui furent remplacés par un plâtre crépi lors de la première restauration du plan-relief en 1956 (une deuxième restauration a eu lieu en 2005-2006). On trouve également pour les arbres des fils métalliques avec de la soie, complétés toujours en 1956 par des arbres de production « industrielle », tandis que champs et cultures sont peints sur des bourres de soie. Les sols et prairies sont réalisés avec de la colle et du sable et de la bourre de soie floquée.

L'auteur de ce plan-relief est Pierre-Marie Touboulic (1783-1862). Ingénieur mécanicien de la Marine, il est également inventeur et écrivain. Le plan de Rochefort lui a été commandé par le Ministre de la Marine dans une lettre datée du 24 juillet 1833. Il a construit également les maquettes des ports de Brest en 1827 et Lorient en 1831-1832.
Ce plan daté de 1835 serait l'un des derniers réalisés. En effet, on a cessé de construire ce type de maquette après 1870, la guerre démontrant l'inefficacité des défenses des villes fermées face à la puissance de l'artillerie et marquant la fin des fortifications bastionnées. L'utilisation de ces maquettes a donc été abandonnée en raison du changement des modes de défense.

Achevée dans une salle du Louvre mise à sa disposition, la maquette de Rochefort est envoyée en 1895 à Rochefort. Depuis un récent transfert de propriété, elle appartient à la Ville de Rochefort.
Pièce de collection, de musée, le plan-relief de Pierre-Marie Touboulic permet d'appréhender l'histoire de l'arsenal et de la ville en général.

Le choix de Rochefort pour la création d'un arsenal

Pourquoi un arsenal à Rochefort ?
Pour Colbert, ministre de Louis XIV depuis 1661, il s'agissait avant tout de protéger la côte atlantique française entre Brest et Bayonne grâce à un arsenal moderne, qui soit à la fois un chantier de construction et de réparation navale, un lieu de garnison et de stockage des approvisionnements, et un port de commerce.

Plusieurs sites sont alors étudiés par Colbert. Brouage, qui pose des problèmes d’envasement importants et Echillais ne sont finalement pas retenus.
Le choix s'arrête sur Rochefort. Minuscule bourgade de moins de 500 âmes, « Roccafortis » appartient au seigneur de Cheusses et est dirigée par Colbert de Terron, intendant et cousin du ministre de la Marine. Elle offre une vaste rade abritée sur la Charente, permettant le transport des richesses de l'Angoumois, du Limousin et de la Saintonge et dont l'embouchure, située à 25 km de la mer, se trouve protégée par un réseau de petites îles. Le lit du fleuve en boucle, comme le montre la vue panoramique sur le côté du plan-relief, offre également une protection naturelle.
De plus, une forêt de chênes à proximité de la Charente (qui se trouvait à peu près au niveau de l'hôpital maritime et qui a totalement disparu aujourd'hui) est un atout supplémentaire pour l'implantation d'un arsenal, gros consommateur de bois. Par contre, l'insalubrité du site, lié aux marais, semble ne pas être prise en compte.

Un autre aspect favorise le choix de Rochefort, l'appartenance de la bourgade à un seigneur protestant, De Cheusses, dont l’hôtel particulier abrite aujourd’hui l’antenne rochefortaise du Musée National de la Marine.
En effet, le roi va réquisitionner les terres du seigneur et promet en échange une somme d'argent que le seigneur n'aura jamais. Certains historiens avancent également l'hypothèse que le site de Rochefort a été choisi car il était proche de La Rochelle, ville protestante. L'installation d'un arsenal permettait ainsi d'avoir une place forte à côté de la ville huguenote.

L'arsenal de Rochefort

Une fois le site choisi, l'arsenal s'implante le long de la Charente sur une zone de 2,5 km de long. Du sud au nord, on trouve l’atelier des mâtures, les Magasins Particuliers et le Magasin Général où étaient stockés les différents éléments et accessoires des navires, les cales de construction ou cales sèches recouvertes pour être protégées des intempéries.

Est également représentée sur le plan-relief, la machine à mâter.

Le premier bâtiment construit sur le site est la Corderie Royale en 1666, réalisée par l'architecte et ingénieur François Blondel. Sa construction a nécessité l'élaboration d'un radier (ou radeau) en bois de chêne afin d'assurer la stabilité des fondations sur un sol marécageux. La construction a commencé par les deux extrémités du bâtiment, les deux pavillons qui ferment la Corderie, en avançant progressivement, vers le milieu du bâtiment afin que le radier ne penche pas d'un côté ou d'un autre. Nous pouvons également remarquer la fontaine de la Corderie proche de cette dernière.
Des contreforts (ou clés), ont été ajoutés plus tard pour stabiliser la Corderie qui mesure 372 mètres de long.

À côté de la Corderie, se trouve le Magasin des Colonies utilisé pour l'acclimatation des plantes rapportées par les expéditions maritimes, avant de les envoyer à Versailles, au Jardin des Plantes.

Le Magasin aux Vivres ou Magasin des Subsistances renfermait notamment la boulangerie où l'on préparait les biscuits que l'on emmenait sur les navires. Mélange d'eau et de farine, ils étaient pétris avec les pieds et cuits deux fois (d'où le nom bis-cuit). On y faisait aussi les salaisons de viandes et stockait d'autres produits, comme le ognac par exemple.
L'espace clos où sont visibles des petits canons était le lieu où l'on "éprouvait" les canons fabriqués à l'arsenal, où on les testait. Les fonderies sont d’ailleurs toutes proches, face au jardin botanique.

En longeant la Charente, on aperçoit ensuite sur la maquette la Vieille Forme, réalisée en 1669 et plus ancienne forme de radoub maçonnée construite au monde. Elle fut vite insuffisante d’où la construction de la Double-Forme en 1683 puis de la forme Napoléon III en 1861, agrandie en 1901. C’est dans cette forme que se trouve aujourd’hui le chantier-spectacle de la frégate l’Hermione.

Deux autres bassins ont également été construits un peu plus tard en suivant le chenal aux vivres et correspondent actuellement au port de plaisance.

Les moulins, disparus aujourd'hui, avaient deux fonctions. Le premier servait à scier le bois grâce à la force éolienne. Le second avait pour rôle de broyer les pigments nécessaires à la fabrication de la peinture et de désenvaser l'entrée de la Double-Forme par un système de chaîne à godets.

Autre bâtiment important : la poudrière. Avec le développement rapide de la ville autour du bâtiment, il devient vite dangereux de continuer à y stocker de la poudre. Elle est donc transférée vers la Vieille Forme. Le bâtiment devient ensuite une prison maritime et accueille aujourd’hui le Conservatoire municipal de musique et de danse.

Face à la poudrière, se trouve la caserne Martrou, qui a accueilli un temps le bagne et abrite aujourd'hui, entre autres, le Service Historique de la Défense, Département Marine.

Deux fosses aux mâts sont également visibles sur le plan-relief. Elles permettaient, en y immergeant les bois, de les débarrasser de leurs vers et de les durcir au contact de l’eau vaseuse et légèrement salée.

En fait, des problèmes liés à l'emplacement de l'arsenal se sont vite posés comme la profondeur peu importante de la Charente (7 à 9 m de fond à marée haute) générant un faible tirant d’eau pour des navires toujours plus imposants, le problème des marées ou encore l’envasement des berges. Afin de permettre la sortie d'un gros vaisseau, les rochefortais étaient réquisitionnés au XVIIe siècle pour la "cordelle", nécessitant jusqu'à 500 hommes. Les bagnards assurèrent ensuite cette corvée de halage, lorsque le bagne fut implanté en 1766. Il fournissait à l'arsenal une main d'œuvre gratuite et des sujets pour les besoins de l'École de Médecine Navale rochefortaise.

La ville

Au-delà de la zone dédiée à l'arsenal, on trouve bien évidemment la ville. Elle va se développer assez vite et compte 15 000 habitants en 1698, 23 000 en 1758.

Le cœur de l'ancien village est l'église Notre-Dame, dénommée aujourd'hui la « Vieille Paroisse ». Elle date du Moyen Âge et fut vraisemblablement édifiée au XIIe siècle.
La Tour des Signaux a servi également d'église, sous le vocable d'église Saint-Louis. L'église Saint-Louis actuelle date de 1835, elle abritait à l'origine le couvent des Capucins.

Le plan de la ville a été dessiné par le chevalier de Clerville au XVIIe siècle. C'est un plan régulier, en damier, comprenant deux rues principales :la rue Royale, appelée ainsi en hommage au Roi (actuelle avenue Charles de Gaulle) et la rue Dauphine, en hommage au Dauphin (actuelle rue La Fayette). Les rues délimitent 61 îlots au total. Ils accueillaient à l'origine des "cayennes", mot patois désignant des petites baraques en bois.

L'insalubrité de Rochefort à son origine est connue. Michel Bégon (1638-1710), nommé Intendant de la Marine à Rochefort en 1688 va urbaniser et assainir la ville. Il émet une ordonnance stipulant notamment que dans un délai d'un an, les cayennes doivent être rasées et remplacées par des maisons, en pierre de taille, à deux étages, alignées sur la rue et mitoyennes.

Zone importante au cœur de la ville, le Jardin du Roi s’étendait à l'origine jusqu'à la Place Colbert (ancienne place des Capucins). Rochefort, ville nouvelle née d’une volonté politique se devait d’avoir une demeure digne d’accueillir le souverain. Il s’agit de la Maison du Roi entourée de son jardin créé pour le bien-être de ce dernier même s’il ne viendra finalement jamais à Rochefort. La Maison du Roi abrite aujourd’hui l’actuel Commandement des écoles de la Gendarmerie Nationale.

Les remparts sont construits à partir de 1676. À cette époque, l’armée hollandaise s’approche des côtes françaises de façon inquiétante et Colbert prend conscience que si l'arsenal est bien protégé, la ville, elle, est sans protection côté terre.
Ils sont constitués de redans (pointes triangulaires qui comportaient chacune une échauguette) et de bastions (pointes plus « carrées » à trois côtés).
On peut observer aussi une poterne (petite porte) qui permettait d'accéder plus facilement à l'hôpital maritime. Si les remparts n'ont pas un rôle réellement défensif, ils permettent surtout un contrôle de la ville. En effet, il y avait un droit de péage pour rentrer dans la cité. Ce droit permit notamment de financer le pavage des rues (1684).
Longtemps menacés de destruction et férocement défendus par Pierre Loti, les remparts sont classés Monuments Historiques, déclassés en 1921 et rasés à partir de 1923. Les arguments avancés pour légitimer cette destruction sont l'insalubrité qui régnait au pied des remparts et le fait qu'il n'y avait que trois petites entrées pour accéder à la ville. Ces trois accès sont les portes de La Rochelle, de Martrou et de Charente. Cette dernière fut détruite en 1859 lors du creusement des deux bassins et remplacée plus à l'ouest par la porte Bégon.
Toute la partie des remparts située des deux côtés de la porte de La Rochelle, une fois ces derniers détruits, a été rachetée par l'Àtat et on y trouve d'ailleurs aujourd'hui uniquement des bâtiments publics : poste, hôpital civil, écoles.

Les faubourgs quant à eux sont construits à partir de 1688 sous forme de petites maisons basses et de vastes terrains qui permettaient aux ouvriers de l'arsenal de cultiver un potager. Le plan des faubourgs reprend le tracé géométrique de la cité intra-muros.

À la jonction entre la ville et les faubourgs, se trouve l'Hôpital Maritime. Un premier hôpital fut construit au niveau du quai aux vivres, mais il s'est vite avéré trop petit et mal conçu. D'où la construction d'un deuxième hôpital inauguré en 1788, constitué de plusieurs pavillons afin d’isoler les patients et limiter les risques d'épidémie en permettant la mise en place d’un vrai système de quarantaine. Cet hôpital va ensuite accueillir une École de Médecine Navale (créée dès 1722) ainsi qu'un musée. Il sera ouvert jusqu’en 1983. En plus de la médecine, la pharmacopée était étudiée à Rochefort en relation avec les plantes rapportées par les expéditions maritimes. Seul subsiste aujourd’hui le musée de l’Ancienne École de Médecine Navale.

Comme le souhaitait Louis XIV, l'arsenal de Rochefort était bien devenu le plus grand, le plus beau et le plus moderne du royaume. Tout ce qui était nécessaire à l'équipement d'un navire de guerre pouvait y être réalisé : charpente, voile, canons, cordes… En 1670, il fabriquait pour la marine française, la Royale, un vaisseau sur quatre, une frégate sur trois, puis en 1691, un vaisseau sur trois. Mais l'activité se ralentit peu à peu, jusqu'à la fermeture de l'arsenal en 1927.