Les panneaux historiés du château de La Mothe-Saint-Héray

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Le Musée des beaux-arts de Niort possède un ensemble de boiseries peintes provenant de la chapelle du château de La Mothe-Saint-Héray, situé dans le département des Deux-Sèvres, à quelques kilomètres à l'est de la ville. Du château réaménagé au tout début du XVIIe siècle par Jean de Baudéan, qui l'avait acquis en 1604, il ne reste rien : il a été démoli et vendu pierre par pierre au milieu du XIXe siècle 1.

Les rares documents ou descriptions qui le concernent ne mentionnent jamais ces boiseries et permettent tout juste de localiser l'emplacement de la chapelle près de l'entrée principale du donjon et de présumer qu'elle occupait la hauteur de deux étages, avec une tribune qui donnait sur la chambre seigneuriale.

Les boiseries elles-mêmes ont été sauvées dans des circonstances assez confuses et données en 1842 au Musée de Niort ; elles y ont été conservées dans de mauvaises conditions au siècle dernier, ce qui a contribué à la dégradation de la peinture, notamment dans les panneaux des parties inférieures. Actuellement, ce cycle illustrant la Bible, qui n'est ni signé, ni daté, se présente sous la forme de cinq grandes séries regroupant douze ou seize panneaux, auxquelles s'ajoute une petite série de quatre panneaux. Ces soixante-seize panneaux de chêne de 52 x 35 centimètres en moyenne, sont reliés entre eux par un assemblage de traverses rainurées et chevillées. Une septième série, non exposée en raison de son très mauvais état de conservation, comprenait huit panneaux, ce qui portait l'ensemble à quatre-vingt-quatre panneaux lors de son entrée au musée.

Il est possible qu'il y ait eu quelques panneaux supplémentaires à l'origine, mais les constatations que l'on peut faire sur les encadrements, entre autres arguments, permettent de déduire que, si pertes il y a eu, elles ont été minimes. Les montages et démontages successifs ont altéré l'ordre de ces panneaux, sauf pour les deux séries illustrant la Genèse où ils se succèdent encore logiquement ; la disposition actuelle de ces séries est donc arbitraire, de même que la désignation qui en a été faite pour la commodité de ce travail (de la lettre A à la lettre G), telle que la reproduit la présentation2. Sur l'initiative de Christian Gendron, le conservateur actuel des Musées de Niort, ces panneaux ont été nettoyés et consolidés 3.

La décoration peinte sur les encadrements pourrait faire l'objet d'une autre étude. Elle ne sera pas abordée ici ; mais il faut mentionner, pour la compréhension de l'ensemble, que ce décor est fait principalement de fleurs (tulipes, roses, iris, lys, fritillaires, anémones) qui sont associées à des palmes et des rubans, le tout se détachant en couleurs vives sur un fond gris-blanc. Des têtes de putti et des cartouches portant les inscriptions « IHS » et « MAR » (« Marie ») accompagnent ce décor dans la série B qui regroupe des scènes du Nouveau Testament. Sur les intersections de ces traverses, des monogrammes couleur or ont été systématiquement grattés 4 ; ils représentaient un « H » et deux « C » entrelacés, désignant ainsi Henri de Baudéan (qui a succédé à son père, Jean, décédé en 1631) et Catherine de Pardaillan d'Armagnac, son épouse ; la couronne qui surmonte ce monogramme est celle du marquisat qui a été conféré à la terre de La Mothe-Saint-Héray en 1633 5. On a pu considérer, pour cette raison, qu'Henri de Baudéan avait été le commanditaire de ces boiseries et les dater de 1633 environ. Mais ces monogrammes auraient pu être ajoutés après l'exécution des panneaux historiés et du décor des encadrements lui-même ; d'ailleurs des repeints et un décor sous-jacent apparaissent en maints endroits sur ces encadrements dont certaines parties, comme la corniche, ont été manifestement refaites au XIXe siècle.

Le court article d'H. Clouzot, qui a été jusqu'à présent la seule recherche effectuée sur ces boiseries, faisait état de cette supposition ; il proposait en outre un rapprochement avec les gravures du peintre flamand Hans Bol, ainsi qu'une hypothèse sur le nom du peintre de ces panneaux, un certain Corneille Simoënsüene. H. Clouzot se fondait pour cela sur la présence de ce peintre à Fontenay-le-Comte (situé à une trentaine de kilomètres de Niort), révélée par un contrat d'apprentissage daté de 1632 6. L'existence et les œuvres de ce peintre sont par ailleurs inconnues.

Des paysages animés peints par une main flamande

Un premier regard sur ces panneaux historiés permet une référence immédiate à la peinture flamande du XVIe siècle : les paysages, nombreux, y sont traités en vues panoramiques, selon la règle des trois tons, avec une prédominance des lointains bleutés et un effet de coulisses dans la succession des plans. L'aspect des rochers et des montagnes, la présence fréquente de chaumières rustiques aux pignons à redans, évoquent une influence bruegelienne. D'autres architectures figurées : châteaux de style gothique tardif entourés de douves, quelques édifices de type maniériste nordique, côtoient des architectures plus italianisantes.

En s'attardant davantage sur la représentation des arbres et de leur feuillage, on remarque une parenté plus précise avec les paysages des peintres originaires de Malines, tels Hans Bol ou les frères Valckenborch, proches de la manière des toiles peintes des manufactures de cette ville, où ils avaient travaillé, et de leurs effets de tapisserie. Mais la disposition de ces feuillages en masses alternées claires et sombres pourrait se rattacher aussi à ce que l'on retrouvera au début du XVIIe siècle chez un Jan Brueghel (dit « de Velours ») ou d'autres peintres anversois.

Un drapeau hollandais représenté dans le panneau illustrant l'histoire de Jonas, vient confirmer qu'il s'agit bien ici d'une main nordique ; cette revendication d'une appartenance - ou d'un désir d'appartenance - aux Provinces-Unies du Nord n'aurait pas de sens, en effet, de la part d'un peintre local, même s'il avait été formé par un Flamand 7.

D'autres éléments font aussi penser aux « paysages animés de figurines » issus de l'évolution de la peinture de paysage flamande et d'une des tendances du maniérisme qui s'est développée au sein de l'École de Fontainebleau, en partie après la venue de Nicolo dell'Abate. Les petits personnages qui animent les paysages de La Mothe-Saint-Héray sont d'ailleurs très proches de ceux qui figurent sur les peintures des cheminées du château d'Écouen, eux-mêmes apparentés aux personnages des célèbres gravures sur bois de Bernard Salomon pour les Quadrins historiques de la Bible : « figurines très allongées, aux mollets exagérément rebondis et aux pieds minuscules, aux reins cambrés, avec des draperies nouées en paquets sous un abdomen saillant... le voile liant coiffe et ceinture [dans le vêtement féminin]... le goût des personnages à costumes orientaux ». Ces caractéristiques qu'Anne-Marie Lecoq attribue aux personnages des gravures de Bernard Salomon comme à ceux des cheminées d'Écouen, sont tout à fait applicables à ceux de nos panneaux historiés 8. Du même coup, il serait naturel d'inscrire ces panneaux dans la lignée des peintures murales inspirées par les gravures de Bernard Salomon, tels l'histoire de Joseph au château du Lude et les cycles mythologiques de Villeneuve-Lembron et Chareil-Cintrat 9.

Un rapprochement s'impose également avec les figures peintes par Antoine Caron : un panneau comme le Martyre d'Eléazar appelle la comparaison avec Les massacres du Triumvirat du Louvre, non seulement à cause des personnages d'ailleurs, mais aussi à cause de la composition générale, de la disposition et du style des architectures figurées, et des nuances mêmes des couleurs 10.

Tout en gardant à l'esprit l'évidente différence de talent entre les maîtres qui viennent d'être évoqués et le petit peintre de La Mothe-Saint-Héray, le survol critique du style de ces peintures peut les situer logiquement dans une fourchette de datation assez large qui va de la fin du XVIe siècle au début du XVIIe, car il faut tenir compte d'un éventuel retard de la part d'un peintre modeste, peut-être ambulant.

Il serait même séduisant de reconstituer le périple de ce peintre à partir des influences constatées dans son œuvre : venant des Flandres, il aurait fait étape à Paris où étaient installés bon nombre d'artistes de son pays et où il aurait pu voir la peinture d'Antoine Caron et des gravures comme celles de Bernard Salomon si abondamment diffusées à cette époque ; puis il aurait repris le chemin de l'ouest en quête de travail, s'arrêtant peut-être à Fontainebleau, devenue alors « un relais pour la culture artistique des Pays-Bas 11 », pour aboutir finalement à La Mothe-Saint-Héray... Un voyage en Poitou qui ne peut manquer de faire penser à celui de Nicolas Poussin, dans sa jeunesse, vers 1613...

Les sources iconographiques : les gravures de Peter Van der Borcht

Mais ces suppositions nées de la seule analyse stylistique de l'œuvre ne nous éclairaient pas encore sur le travail du peintre et n'apportaient aucun élément pour comprendre les conditions d'une commande sur laquelle on ne possédait par ailleurs aucune information. Seule une étude iconographique approfondie pouvait fournir des bases de connaissance plus solides. Il fallait de toute façon entreprendre l'identification de chacune des scènes de la Bible illustrées ici, en les comparant avec les types iconographiques de l'époque, et tenter parallèlement de retrouver les sources qui avaient pu être utilisées par le peintre. Le phénomène qui a consisté à se servir d'estampes comme modèles a été d'une telle ampleur, plus particulièrement dans la seconde moitié du XVIe siècle et même au-delà, qu'il justifiait cette hypothèse de travail. De fait, les recherches entreprises dans ce sens ont permis d'identifier les sources de ces panneaux historiés. Ce sont, pour l'essentiel, les gravures de Peter Van der Borcht pour les Images et figures de la Bible.

Avant d'analyser la manière assez originale dont le peintre s'est servi de ses modèles, il faut résumer ici l'histoire et le contenu de cet ouvrage qui peuvent avoir des incidences notables sur nos panneaux historiés.

Sa première publication vers 1585, portant de faux noms d'éditeur et d'auteur, était en fait une édition clandestine, quoique d'une très grande qualité, du célèbre imprimeur d'Anvers, Christophe Plantin ; elle était illustrée des gravures sur cuivre de Peter Van der Borcht, un des graveurs favoris de Plantin et accompagnée des commentaires de H. Barrefelt, dit aussi H. Jansen ou Hiël 12. La teneur assez particulière de ce texte mérite quelques explications : Hiël avait appartenu, comme son ami Plantin, à la secte dite de la « Famille de la Charité », issue de l'anabaptisme ; après une scission au sein de cette secte, Hiël, avec l'aide de Plantin, a diffusé un courant de pensée religieuse que les travaux récents de J.-F. Maillard ont mieux fait connaître : « dans la seconde phase barrefeltienne, la Famille de la Charité n'apparaît pas comme une secte structurée, hiérarchisée... Elle se veut Église invisible, mouvement mystique plutôt que secte, en marge de toutes les Églises officielles sans toutefois s'opposer à celles-ci... Corollairement, toute doctrine est écartée comme contradictoire 13... ». Cette volonté conciliatrice entre les différentes religions ressort particulièrement dans les commentaires de Barrefelt pour cette première édition des Images et figures de la Bible, ainsi qu'un appel à la connaissance spirituelle et intérieure de la Bible qui va au-delà d'une compréhension littérale du texte. Enfin, J.-F. Maillard démontre que la pensée de Barrefelt a connu une grande diffusion en France, notamment dans l'entourage de François, duc d'Alençon, dans les années 1582-1583 ; adapté « à la française », le familisme a eu des sympathisants dans le milieu des « Politiques » et sans doute celui des imprimeurs-libraires 14.

La fabrication de cette édition s'est déroulée en plusieurs étapes, comme en témoignent les quelques exemplaires encore conservés actuellement, mais seuls les exemplaires qui contiennent à la fois les illustrations de l'Ancien Testament (60 planches) et celles du Nouveau Testament (38 planches) nous intéressent ici, puisque le peintre de La Mothe-Saint-Héray a puisé ses emprunts dans l'ensemble de ces planches. Mais on connaît aussi un exemplaire qui ne contient que les gravures sans le texte 15. Il en résulte que le commanditaire de nos panneaux aurait pu avoir entre les mains, soit l'ouvrage complet comportant le texte de Barrefelt - et il faudrait alors se poser des questions sur ses opinions religieuses – soit les gravures seules ; dans ce dernier cas, ces gravures pouvaient aussi se trouver en possession du peintre qui les aurait emportées dans son voyage pour servir éventuellement de modèles.

Mais les choses se compliquent du fait que ces gravures ont servi pour d'autres éditions, parues en 1613 et en 1617, sous le titre d'Emblemata sacra, dans lesquelles d'ailleurs le texte de Barrefelt a été remplacé par des commentaires plus brefs de Sellius, d'orientation calviniste. Or ces deux éditions comprennent une gravure supplémentaire de Peter Van der Borcht, illustrant un passage du Deutéronome, à laquelle le peintre a emprunté trait pour trait son personnage de Moïse pour la scène du Serpent d'airain (panneau 5, série E). On serait donc porté à conclure que l'édition de 1617, dont le seul exemplaire conservé se trouve à la Bibliothèque de l'Arsenal à Paris, a été l'exemplaire-modèle du peintre ; mais il y manque la dernière planche dont le peintre s'est pourtant servi à deux reprises 16. C'est là un exemple, parmi d'autres qui ne peuvent être développés ici, de la difficulté d'identifier l'édition, ou l'exemplaire ayant pu servir de modèle aux panneaux historiés de La Mothe-Saint-Héray, et par conséquent de les dater. Il n'y a pas lieu de s'attarder sur les deux éditions postérieures des Emblemata sacra en 1639 et en 1653-1654, d'ailleurs tardives, et qui, pour d'autres raisons, n'ont pu être à l'origine de nos panneaux.

La « mise en peinture »

Le peintre a utilisé ses modèles selon deux procédés principaux. Le premier, le plus simple, consiste en une copie littérale de trente-sept des gravures des Images et figures de la Bible, puisqu'il en a repris à la fois les sujets et leur représentation formelle ; il n'a eu pour ce faire qu'à en doubler approximativement les dimensions (250 mm x 185 mm) et à les transposer en peinture. La plupart de ces sujets ont été choisis dans des gravures illustrant l'Ancien Testament, en majorité des scènes de la Genèse ; seuls trois sujets du Nouveau Testament ont été ainsi repris.

Mais le peintre avait à illustrer de nombreux autres épisodes bibliques qui n'étaient pas représentés dans cet ouvrage. Il a alors procédé par montage et collage à partir de divers éléments formels pris dans les Images et figures de la Bible ; c'est-à-dire que pour composer chacune de ses scènes, il a emprunté un paysage ou une partie de paysage à telle gravure, ses architectures figurées ou ses personnages à telle ou telle autre ; certains panneaux historiés ont nécessité un montage à partir d'éléments empruntés à trois ou quatre gravures différentes. Il est allé jusqu'à réutiliser plusieurs fois la même partie d'un décor ou le même personnage lorsque ceux-ci pouvaient convenir à la scène qu'il avait à peindre : pour ne citer qu'un exemple, les scribes hébreux qui peinent à transporter des briques sous les ordres d'un intendant de Pharaon sont les mêmes personnages que ceux qui participent à la construction de la Tour de Babel. Certains personnages, souvent réutilisés, en viennent à représenter des types de caractères : ainsi, le même homme vêtu d'un costume semi-oriental, incarne-t-il le rôle de l'oppresseur étranger ou de l'ordonnateur des punitions et du martyre dans les panneaux du Martyre d'Eleazar, de la Flagellation du Christ (panneau 8, série B) et dans le panneau 3 de la série E déjà cité.

Un autre type de combinaison a été employé aussi à trois reprises : il s'agit du détournement d'une gravure illustrant une scène de l'Ancien Testament pour en faire un tableau du Nouveau Testament, en ajoutant ou en changeant seulement un personnage : la Découverte du Livre de la Loi par Josias devient à La Mothe-Saint-Héray Le Christ devant le Sanhédrin (panneau 4, série B) par une adjonction, assez discrète d'ailleurs, de la figure du Christ portant la chlamyde écarlate. Tout le reste de la scène change alors de signification sans difficulté : Josias assis sur son trône et déchirant ses vêtements devient le grand prêtre Caïphe exécutant le même geste.

En règle générale, ce processus de collage et de montage dont cet exemple illustre l'ingéniosité, est exécuté avec beaucoup d'habileté sur le plan technique ; il dénote en tous cas une connaissance approfondie des gravures et du style de Peter Van der Borcht et certaines affinités dans cette rencontre entre le graveur et le peintre. Mais on sent bien que le peintre a privilégié le choix des paysages par rapport aux architectures figurées dans la peinture desquelles il se sentait sans doute moins à l'aise.

Enfin, ce processus ne se réduit pas à un coloriage. C'est pourquoi nous avons employé l'expression de « mise en peinture ». Une véritable transposition s'opère, qui se manifeste d'abord dans une simplification générale, par exemple dans les détails ornementaux des architectures figurées, et par une réduction du nombre des personnages : une armée se résumera à quelques soldats, une foule ou un cortège à quelques personnes... Mais c'est par la couleur, bien évidemment, qu'elle prend toute sa valeur : la dominante bleutée des lointains ou de l'eau dans les seconds plans ajoute aux paysages une atmosphère vaporeuse et aérienne qui n'existait pas dans les gravures ; de même, les couleurs vives, rouges et bleues, ponctuées de jaune clair, les blancs ou les roses un peu nacrés des vêtements, confèrent une sorte de gaieté et de fraîcheur à des scènes qui, souvent, étaient censées illustrer des épisodes tragiques de la Bible. Parfois encore, les couleurs accentuent le caractère de scènes de genre que les gravures avaient déjà.

D'un point de vue stylistique, l'analyse des panneaux se heurte donc à la difficulté de faire le départ entre ce qui tient à la personnalité du peintre ou à sa formation première, et ce qu'il a repris des gravures en les transposant. Presque toutes les observations présentées au début de cette étude concernaient en fait, on le voit maintenant, le style du graveur, de ce Peter Van der Borcht, originaire de Malines, qui avait travaillé à Anvers et avait été influencé par Bruegel l'Ancien ainsi que par le graveur Bernard Salomon 17.

II y a tout de même quelques exceptions à cette règle des emprunts : la Vierge de l'Annonciation, Marie et Élisabeth dans la Visitation, et en général le personnage du Christ dans les scènes de la Passion, sont des « créations personnelles » du peintre, de même que l'édifice romanisant représenté dans la Visitation et les navires qui figurent dans l'histoire de Jonas. Dans tous ces cas, la qualité d'exécution est légèrement meilleure ; cependant, ce n'est pas un argument suffisant pour conclure que deux mains différentes auraient pu se partager le travail, d'autant plus qu'il n'existe pas de différence dans le style des personnages.

Une source iconographique secondaire : « Figures de la Sainte Bible »

En revanche, le peintre a pris quelques modèles dans les Figures de la Sainte Bible 18, particulièrement pour une de ses scènes de l'Exode représentant Moïse enfant recueilli par la fille de Pharaon (panneau 2, série E), bien que le paysage d'arrière-plan y soit emprunté encore à une gravure de Van der Borcht. Mais le peintre a reproduit très fidèlement l'anatomie et l'attitude de l'enfant, le panier et le linge sur lesquels il repose, la femme agenouillée qui le soutient et la disposition du groupe en général, d'après la planche 59 des Figures de la Sainte Bible. Il a repris également quelques autres détails de cet ouvrage pour la scène du Serpent d'airain déjà citée et pour celle de L'attentat de Saül contre David (panneau 9, série E).

Une utilisation aussi minime de cet autre ouvrage est difficile à expliquer, mais confirme en tous cas la façon de procéder du peintre qui semble avoir été incapable de se passer de modèles.

Mais l'identification de cette seconde source ne permet pas davantage de préciser la date d'exécution des panneaux. Là encore, c'est la rançon du succès de ce recueil de gravures : les éditions en ont été très nombreuses et les gravures utilisées par le peintre se trouvent aussi bien dans l'édition de 1596 que dans celles de 1614 ou de 1635, entre autres.

L'identification des scènes

L'identification des scènes qui n'ont pas été reprises de gravures des Images et figures de la Bible a nécessité une étude cas par cas, fondée sur le rapport au texte et surtout sur des comparaisons avec les illustrations contemporaines de la Bible, essentiellement dans l'estampe, mais aussi dans la peinture. Mais il nous faut aller directement aux conclusions que l'on trouvera dans le schéma ci-joint, présentant tous les panneaux avec leur identification quelques titres sont suivis d'un point d'interrogation car le doute subsiste à leur sujet ; le processus de montage utilisé par le peintre rend parfois atypiques les éléments qui composent une scène, si bien qu'il peut y avoir confusion entre plusieurs épisodes de la Bible ; d'autres sont trop mal conservés pour que l'on puisse en identifier le sujet.

Je ferai exception toutefois pour deux panneaux historiés qui présentent des particularités importantes pour la définition du programme iconographique ou pour déterminer l'origine du peintre. Il s'agit d'abord de la scène de l'Annonciation, où la Vierge est représentée assise à l'intérieur d'un tempietto- emprunté bien entendu à une gravure de Peter Van der Borcht illustrant une autre scène du Nouveau Testament. Un lit à baldaquin intégré dans cette architecture italianisante, ramène à des représentations plus traditionnelles de cette scène dans le milieu franco-flamand. Mais ce qui surprend le plus, c'est l'absence de lys et de colombe. Le cas est trop rare pour ne pas y voir une volonté précise du commanditaire liée à des réticences d'ordre dogmatique à propos de l'Immaculée conception. On note en revanche un panier contenant un linge blanc posé aux pieds de Marie ; cet accessoire se retrouve dans le Repos pendant la fuite en Égypte (panneau 6, série B) où sa présence est plus naturelle, surtout chez les peintres flamands. Enfin, un homme debout à côté du tempietto représente probablement Joseph ; sa présence tout à fait inhabituelle dans cette scène pourrait indiquer qu'on a voulu insister ici sur la naissance naturelle de Jésus et réfuter, là encore, le dogme de la conception par le Saint-Esprit.

La deuxième exception porte sur le panneau 11 de la série B qui représente un navire secoué par la tempête, sans aucun personnage ; un tonneau flotte au milieu des vagues et un énorme poisson, gueule ouverte, s'en approche. Cette description fait évidemment penser à l'histoire de Jonas, mais celle-ci est déjà illustrée, de façon beaucoup plus explicite d'ailleurs, sur le panneau 1 de la série D, où l'on voit Jonas tomber du bateau. Les cycles gravés ou peints offrent trop d'exemples de l'illustration d'autres épisodes de son histoire, surtout dans le milieu flamand, pour qu'on ait inutilement répété deux fois le même ici. Une telle insistance sur le thème du navire dans la tempête montre qu'il était porteur d'une signification particulière ; un rapprochement vient immédiatement à l'esprit avec La tempête de Bruegel l'Ancien, tableau dont on considère qu'il évoque à la fois l'histoire de Jonas et l'illustration d'un proverbe flamand ou d'une coutume bien connue des marins de l'époque le tonneau a pour but de distraire le monstre marin du bateau en danger de naufrage. Autrement dit, cela signifie « lâcher la proie pour l'ombre », mais on y a vu aussi « l'image de l'homme qui, pour des futilités, manque son vrai salut 19 ». On peut remarquer d'autre part que le navire représenté dans ce panneau (ainsi que dans le panneau 1 de la série D) est du même type que ceux des tableaux ou des gravures de Bruegel l'Ancien 20.

Mais on pourrait avoir là également une de ces manifestations de l'esprit allégorique de la Renaissance, dans les emblèmes de naufrage ou de la « fortune de mer », emblèmes moralisés ou à sous-entendu politique 21. Enfin, on ne peut exclure des correspondances avec ces métaphores répétées dans la poésie de la fin du XVIe siècle, dont les évocations de la tempête, de la mouvance des flots, etc., reflètent le caractère d'insécurité et d'instabilité de l'époque 22.

Certaines de ces constatations confirment en tout cas l'origine flamande ou néerlandaise du peintre, qui semble avoir joui ici de quelque liberté vis-à-vis de son commanditaire, même si ce dernier a pu approuver ce choix en y ajoutant une intention personnelle.

Le programme

La définition de ce programme reste malgré tout très dépendante des sources iconographiques : on a choisi en effet de faire figurer à La Mothe-Saint-Héray trente-sept sujets bibliques tirés des Images et figures de la Bible, en laissant de côté les soixante autres, et on en a ajouté une trentaine. Ce sont donc ces derniers qui apportent les indices les plus significatifs quant au programme d'ensemble.

Les principales adjonctions vétérotestamentaires portent sur deux scènes de l'histoire de Joseph, dans la Genèse, quelques scènes de l'Exode, deux scènes de l'histoire de David, un épisode de celle de Samson, un autre de l'histoire d'Esther, la scène « d'Élie avec les corbeaux » et celles de l'histoire de Jonas. Dans le Nouveau Testament, on a abandonné, à trois exceptions près, tous les sujets illustrés dans les Images et figures de la Bible pour faire figurer des scènes du cycle de l'enfance et de la Passion, ainsi que l'Apparition du Christ à Tibériade.

Tout cela révèle d'abord une volonté de suppléer aux lacunes que présentait l'ouvrage, pour développer un cycle aussi complet que possible en équilibrant les illustrations de l'Ancien et du Nouveau Testament. Ainsi, l'ensemble de La Mothe-Saint-Héray correspond-il assez exactement aux cycles gravés du XVIe siècle et du premier tiers du XVIIe même si l'on tient compte des quelques panneaux non identifiés et de la disparition éventuelle de quelques autres. De ce point de vue, le terme de programme a sans doute quelque chose de trop ambitieux pour désigner le résultat d'une démarche de simple bon sens d'un propriétaire de château qui souhaitait faire décorer sa chapelle de scènes bibliques.

Cependant un tel souci d'illustrer tous les principaux épisodes de l'Ancien Testament rejoint une tendance caractéristique du protestantisme, qui est de chercher à restituer dans sa vérité historique tout l'itinéraire du peuple hébreu. Ce fond protestant ne peut qu'être confirmé par les « anomalies » qui ont été constatées à propos de la scène de l'Annonciation.

D'autre part, le choix de certains épisodes de l'Ancien Testament pourrait procéder d'un désir d'illustrer à travers eux certains événements politiques ou religieux, selon une tendance très répandue sous les règnes de Charles IX, Henri III et Henri IV. L'épisode concernant les scribes hébreux malmenés par Pharaon pendant l'Exode  est une scène pratiquement inconnue dans l'illustration biblique de l'époque ; sa présence à La Mothe-Saint-Héray pourrait, soit refléter le ressentiment d'un loyaliste vis-à-vis de l'ingérence espagnole dans la vie religieuse et politique de la France, soit dénoncer la répression subie par les protestants sous l'occupation espagnole des Pays-Bas.

De la même manière, il serait tentant de voir dans le choix du Triomphe de Mardochée et de la Pendaison d'Aman, de préférence à la scène beaucoup plus connue d'Esther agenouillée devant Assuérus, une autre allusion à un peuple opprimé pour ses croyances religieuses mais qui, grâce à son loyalisme envers le roi, triomphe des calomnies d'un haut dignitaire. Les images de David triomphant présentant la tête de Goliath à Saül (panneau 10, série E) et de Samson combattant le lion (panneau 11, série E), sont plus ambiguës : elles peuvent représenter le combat du jeune protestantisme contre le catholicisme romain, mais elles ont été utilisées tout aussi bien par le parti adverse, et on connaît maints exemples de décors d'entrées royales dans lesquels David incarne le personnage du roi 23. D'après ces quelques exemples, on peut supposer chez le commanditaire un souci d'actualiser certains épisodes de la Bible, mais l'ensemble du programme, tout en étant conforme dans ses grandes lignes à l'usage de l'époque, est incontestablement marqué par la religion réformée.

Le commanditaire : Jean ou Henri de Baudéan ?

À la lumière de cette étude iconographique, il faut donc se pencher sur la vie et les opinions politiques et religieuses de Jean et d'Henri de Baudéan.

Jean de Baudéan, comte de Parabère, appartenait à une grande famille originaire du Béarn. Il a combattu avec bravoure aux côtés d'Henri IV dont il a été un fidèle compagnon d'armes depuis la première heure ; si bien qu'il en a reçu des charges importantes et une fortune conséquente dès les dernières années du XVIe siècle : principalement la double lieutenance du Haut et du Bas-Poitou, et le gouvernement de la ville de Niort (qui a joué un grand rôle pendant les guerres de religion). Calviniste convaincu comme son épouse et toute sa famille, il a été en rapports étroits avec Agrippa d'Aubigné. Mais tous ses biographes s'accordent à lui reconnaître modération et équité dans l'exercice de ses charges, et il a très probablement fait partie de la tendance des « Politiques ». Son loyalisme envers le roi ne s'est jamais démenti, même sous Louis XIII et malgré son refus d'abjurer la religion réformée lors de la venue de ce roi à Niort en 1621. Sa conversion au catholicisme est généralement admise ; elle a dû intervenir très peu de temps avant sa mort en 1631, toute sa famille s'étant déjà convertie : un de ses fils, Charles de Neuillan, l'avait fait de façon très spectaculaire dès 1617. D'ailleurs, le contexte historico-religieux du Moyen-Poitou dans les années 1625-1630, rendait très difficile le maintien d'un notable dans la religion réformée 24.

Son fils, Henri, a repris ses titres et ses charges, en a résilié certaines pour en accepter d'autres plus importantes encore, et la terre de La Mothe-Saint-Héray a été érigée en marquisat en 1633. Catholique à cette date, et ce probablement depuis quelques années, il a reçu le cordon bleu de l'Ordre du Saint-Esprit la même année 25 et dix ans plus tard, il fondait à La Mothe-Saint-Héray un couvent de Bénédictines dont sa fille a été la première Abbesse. Sa pratique de la religion catholique n'était donc pas de pure convention.

Ce que l'on a pu constater du programme iconographique s'accorde donc mieux avec l'époque de Jean de Baudéan, sa ligne de conduite et ses opinions qu'avec celles de son fils Henri. On pourrait tout de même s'étonner qu'un calviniste comme Jean de Baudéan ait accepté l'idée de ces images bibliques qui, de plus, figurent le Dieu de l'Ancien Testament sous forme humaine : mais sa modération allait peut-être jusqu'à accepter un tel compromis.

Le choix - ou l'acceptation - des gravures des Images et figures de la Bible comme modèles serait plus compréhensible également de la part de Jean de Baudéan : s'il s'agissait de la première édition et d'un exemplaire qui comportait le texte de Barrefelt, il faudrait alors supposer qu'il nourrissait quelque sympathie pour la « Famille de la Charité », ce qui ne serait pas en désaccord avec sa personnalité ; s'il s'agissait par contre de l'édition de 1613 ou de 1617 des Emblemata sacra, les brefs commentaires calvinistes qu'elles contenaient auraient pu lui convenir encore mieux. On sait que les ouvrages interdits circulaient facilement entre les Flandres et le port de La Rochelle et que, d'autre part, le milieu des imprimeurs et des marchands-libraires de toute la région était presque totalement acquis à la religion réformée, dans les années 1570-1600, et même au-delà. Il n'y aurait rien de surprenant, dans ces conditions, à ce que Jean de Baudéan ait acquis lui-même un de ces ouvrages 26.

On pourrait alors situer l'exécution de ces panneaux historiés dans les années 1610-1620, Jean de Baudéan s'est consacré plus particulièrement à l'aménagement de son château à partir de 1613, alors qu'il avait restreint ses activités militaires et même certaines de ses fonctions administratives. Cette datation conviendrait également si l'on se place du point de vue du style même de la peinture...

Ces arguments ne constituent pas cependant des preuves irréfutables pour attribuer la commande à Jean de Baudéan, et l'hypothèse d'une attribution à son fils Henri ne peut être absolument rejetée : la présence de son monogramme sur les encadrements parle tout de même en sa faveur, bien que la date de son apposition soit discutable. Mais dans ce cas, on ne comprendrait plus l'orientation protestante du programme et les anomalies dans la scène de l'Annonciation, de la part d'un homme qui affichait un catholicisme aussi résolu. De même, le choix de l'ouvrage dont les gravures ont servi de modèles ne pourrait s'expliquer que si Henri n'en avait connu que la version sans le texte. La date de 1633 parait en outre tardive eu égard au style archaïque de cette peinture, mais on peut sans doute admettre qu'un peintre peu créatif, peut-être âgé ou parti depuis longtemps de son pays d'origine, soit resté très retardataire ; il ne faut pas oublier non plus qu'en recopiant des gravures datées de 1585, il en reprenait également le style. Si cette dernière hypothèse était pourtant la bonne, le nom de Corneille Simoensüene avancé par H. Clouzot pour l'identité du peintre serait plausible, bien qu'invérifiable actuellement.

La question de la « création » chez les peintres ambulants

Si la découverte des sources iconographiques n'a pu apporter de certitude ni sur l'auteur de la commande, ni sur la datation de l'œuvre, ni sur l'identité du peintre, elle aura du moins permis de situer ces panneaux historiés dans le grand courant d'influence de la gravure flamande à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe courant mis en évidence ces dernières années par de nombreuses recherches 27. À La Mothe-Saint-Héray, le cas est d'autant plus intéressant qu'il rassemble les deux phénomènes : déplacement des estampes et voyage des peintres. Il n'est pas exclu, d'ailleurs, comme on l'a déjà dit, que ce peintre flamand ait emporté avec lui les gravures de Peter Van der Borcht. De plus, ces exemples, fréquents dans l'orfèvrerie, les émaux et les arts décoratifs en général, sont relativement rares en ce qui concerne la peinture : les cas du Lude et de Villeneuve-Lembron évoqués plus haut sont bien antérieurs et surtout, ils mettent en jeu les gravures de Bernard Salomon et non des gravures flamandes.

La connaissance des sources sert aussi à comprendre comment a travaillé le peintre, dont on a pu suivre la démarche, découvrir les hésitations, les procédés, les tentatives de création et les limites. Il est plus fréquent de pouvoir mener cette analyse sur de grands maîtres que sur des artistes plus modestes. Pour ceux-ci, en particulier pour les peintres ambulants, le problème de la création se pose de façon différente : on a pu se rendre compte ici de la nécessité pour eux d'avoir recours à des modèles, et à quel point ces modèles passaient par les gravures.

Il serait sans doute intéressant de pouvoir mettre un nom sur ces panneaux historiés, mais outre le caractère hasardeux des recherches que cela exigerait, il n'est pas certain que la connaissance que nous en avons s'en trouverait accrue, car leur auteur est probablement un peintre par ailleurs inconnu.

Le choix de ce type de peintre reflète en tous cas certaines des tendances de l'époque. Il peut témoigner du goût des seigneurs de La Mothe-Saint-Héray pour la peinture flamande, mais il montre à coup sûr que les peintres originaires des Pays-Bas s'étaient imposés en France autant par leur présence massive que par leur savoir-faire, non seulement dans les hautes sphères des grands maîtres de la seconde École de Fontainebleau, mais aussi dans les provinces, et parmi les peintres ambulants, à la créativité plus limitée 28.

Texte : Brigitte Stievenard

 


NOTES

1. Les bâtiments que l'on voit encore actuellement sont ceux qui ont été construits par Henri de Baudéan à partir de 1634 à côté de « l'ancien château » ; ils sont donc sans rapports avec les boiseries de la chapelle étudiées ici.

2. Dans ce schéma, on a rétabli autant que possible l'ordre des séries en se fondant sur la suite logique des scènes de la Bible, après identification de celles-ci ; c'est-à-dire que la série C vient à la suite de la série A, l'ensemble illustrant la Genèse, puis la série E et F étaient consacrées aux autres livres de l'Ancien Testament, mais l'ordre des panneaux dans ces deux séries a été bousculé et certains ne devaient même pas s'y trouver à l'origine ; la petite série D se trouvait sans doute à la suite de la série F, peut-être coupée de celle-ci par l'emplacement d'une porte ; la série B, réservée au Nouveau Testament, était probablement à part et formait peut-être un ensemble avec la série G (non exposée).

3. M. Gendron, que je tiens à remercier ici du soutien qu'il m'a apporté au cours de ce travail, a également fait analyser la matière picturale par le Laboratoire de recherche des Musées de France ; il en ressort essentiellement les constatations suivantes : une faiblesse de la couche préparatoire, un liant à base d'huile, une impureté des pigments et une certaine pauvreté de moyens en général.

4. Des traces plus visibles de ce monogramme se trouvent encore sur la série C ; il nous est restitué d'autre part dans un dessin d'A. Bouneault, conservé à la Bibliothèque municipale de Niort, n° 827 du Répertoire d'A. Farault, Niort, 1915.

5. Sur la terre et les seigneurs de La Mothe-Saint-Héray et sur la famille Baudéan-Parabère, les principales sources d'information sont données par le Dr. Prouhet, Les seigneurs, le château, la terre de La Mothe-Saint-Héray, Paris, 1906.

6. Voir l'article de H. Clouzot, « Les boiseries de la chapelle de La Mothe-Saint-Héray », Revue de l'art chrétien, janvier février 1913, LXIII, pp. 35-37. Le contrat qu'il mentionne a été découvert par B. Fillon qui l'a publié dans « Lettre à M. Octave de Rochebrune sur divers documents artistiques relatifs à l'église Notre-Dame de Fontenay-le-Comte », Revue des provinces de l'Ouest, 1ière année, 1853, pp. 119-120 ; ce contrat apprend seulement la présence de ce peintre originaire du « pays de Flandres » dans la région de Fontenay-le-Comte en 1632. D'autre part, H. Clouzot, dans cet article, n'a pas cherché à identifier les scènes peintes sur ces panneaux ; il se contente de signaler quelques scènes très connues de la Genèse, comme tous les auteurs qui font mention de ces boiseries.

7. Ce drapeau hollandais que H. Clouzot avait d'ailleurs remarqué, ne peut servir malheureusement à la datation des panneaux, car il existait de manière non officielle dès le début du XVe siècle ; il est mentionné pour la première fois comme « Prinsenvlag » (« drapeau du prince ») en 1572 et il ne sera officiellement drapeau des Pays-Bas qu'en 1795 (renseignements communiqués par JM. Van Leeuwen, bibliothécaire à l'Institut néerlandais à Paris).

8. On rappellera seulement que la première édition des Quadrins historiques de la Bible de Claude Paradin, illustrée des gravures sur bois de B. Salomon, a paru chez jean de Tournes à Lyon en 1553 ; le succès de cet ouvrage a suscité trop d'éditions par la suite pour les mentionner ici. La citation d'A.-M. Lecoq est extraite de son article ; « Les peintures murales d'Écouen, présentation et datation », Actes du colloque international sur l'art de Fontainebleau, Paris, 1975, pp. 166-167.

9. D. Bozzo, « Les peintures murales du château du Lude », Gazette des beaux-arts, janvier 1965, pp. 199-218 ; et F. Enaud, « Peintures murales de la seconde moitié du XVIe siècle découvertes au château de Villeneuve-Lembron (Puy-de-Dôme) », Actes du colloque international sur l'art de Fontainebleau, op. cit. pp. 185-197.

10. Le rapprochement est plus évident encore avec le Massacre des Triumvirs du Musée de Beauvais attribué à Caron ou à l'entourage de Nicolo dell'Abate.

11. A. Chastel, introduction au catalogue de l'exposition sur L'École de Fontainebleau, Paris, 1972-1973, p. XXVI.

12. Images et figures de la Bible : titre et texte trilingues (latin, français, néerlandais), avec la fausse adresse « Jacobus Villanus » et le faux nom d'auteur « Renatus Christianus » ; la date est de 1581 alors que les gravures de P. Van der Borcht sont signées et datées de 1582, 1583, 1584 et 1585. Sur cet ouvrage, voir principalement L. Voet, The Plantin Press, Amsterdam, 1980, 1, pp. 262-265, ainsi que l'article plus récent de A. Hamilton, « From Familism to Pictism. The fortunes of Pieter Van der Borcht IV bibliocal illustrations and HiëI's commentaries from 1584 to 1717 », Quaerendo, 1981, XI, 4, pp. 271-301.

13. J.-F. Maillard, « Christophe Plantin et la Famille de la charité en France : documents et hypothèses », Mélanges sur la littérature de la Renaissance de la mémoire de V.L. Saulnier, Genève, 1984, pp. 235-253. Je remercie J.-F. Maillard (C.N.R.S.) de m'avoir signalé l'existence de l'article de A. Hamilton cité ci-dessus, note 12.

14. J.-F. Maillard, op. cit., p. 245 ; il évoque en outre un certain « François de la Guillotière, docte géographe, natif de Saint-Jean-d'Angély » (en Saintonge) qui était en relation avec le cosmographe du roi, André Thévet, lequel était lui-même en rapport avec Ortelius, géographe et cartographe chez Plantin et de ses amis. Ce réseau de relations pourrait peut-être trouver un prolongement jusqu'à Jean de Baudéan, l'éventuel commanditaire de nos panneaux historiés.

15. Ces exemplaires complets se trouvent à : Anvers, Cabinet des estampes du Musée Plantin-Moretus, A 1169 ; Paris, Cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale, Ra 22 in 4° (utilisé principalement comme référence pour cette étude) ; Nantes, Bibliothèque municipale, Imp. 503 (mais il y manque les planches 6, 8 et 14 ; ces deux dernières ont cependant servi de modèles pour les panneaux historiés). Les feuillets mobiles sont réunis dans un volume intitulé Œuvre de Van Borcht, Bibliothèque de l'Arsenal, Paris, Est. 1011. Deux autres exemplaires, que je n'ai pas pu consulter, se trouvent à Haarlem, Stadtsbibliotheek, 47 E9.

16. Emblemata sacra é (sic) praecipuis utriusque Testamenti historiù concinnata, a Bemardo Sellio Noviomago, Amstelodami, ex officina Michaelis Colinii, Anno 1613. Même titre et mêmes caractéristiques pour l'édition de 1617 dont l'unique exemplaire, conservé à Paris à la Bibliothèque de l'Arsenal, Est. 1283, a été acquis en 1630 par un Oratorien, Henry de Harlay.

17. Sur P. Van der Borcht, ses activités d'illustrateur chez Plantin et d'autres éditeurs, son style, les influences de Bruegel et de B. Salomon, voir notamment : A.J.J. Delen, Histoire de la gravure dans les anciens Pays-Bas et dans les provinces belges, des origines jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, Paris, 1934-1935, vol. II, pp. 81-104, et vol. III, p. 103.

18. Cet ouvrage dit aussi « Bible de Le Clerc », a été publié pour la première fois en 1596 sous le titre Plusieurs et diverses histoires tant du vieil que du nouveau Testament ; d'autres éditions ont suivi sous le titre Figures de la Sainte Bible accompagnées de briefs discours contenant la plus grande partie des histoires sacrées du vieil et nouveau Testament, édition de 1614 chez Jean Le Clerc à Paris, in f°, 273 fig. sur bois de J. Le Clerc (dessins attribués à J. Cousin) reprenant les bois de l'édition de 1596, Bibliothèque nationale, Imp. Rés. A 1401-1402. Les mêmes bois se retrouvent dans l'édition de 1635, Bibliothèque nationale, Cabinet des estampes, Ra 16, pet. f°.

19. Sur les interprétations de La tempête (Kunsthistorisches Museum, Vienne), voir entre autres R. Delavoy, Bruegel, Genève, 1959, p. 120, dont cette citation est extraite.

20. On peut faire la comparaison par exemple avec le navire représenté dans La chute d'Icare (Musées royaux des beaux-arts, art ancien, Bruxelles), ainsi qu'une des onze « marines » gravées en taille-douce et à l'eau-forte par F. Huys d'après les dessins de Bruegel pour l'éditeur J. Cock.

21. S. Pressouyre, « L'emblème du naufrage à la galerie François Ier », Actes du colloque international sur l'art de Fontainebleau, op. cit., pp. 127-139.

22. C'est un phénomène que l'on constate particulièrement dans la poésie religieuse d'A. d'Aubigné ou de Saintongeais moins connus comme Y. Rouspeau et A. Mage, qui emploient très souvent ces images de flots tumultueux et de navires secoués par les vagues.

23. C. Dumont en a fait la démonstration dans Francesco Salviati au palais Sachetti de Rome et la décoration murale italienne (1520-1360), Genève, 1973, pp. 211-228.

24. Il est impossible de citer ici toutes les sources, archives et documents anciens qui ont été consultés à propos de Jean de Baudéan, son fils Henri et son entourage familial, ainsi que sur l'histoire locale ; parmi les études modernes, signalons principalement, outre l'ouvrage du Dr. Prouhet, déjà cité en note 4 : H. et P. Beauchet-Filleau, Dictionnaire historique et généalogique des familles du Poitou, Poitiers, 1891-1970, 1, pp. 332-333 ; E. Hagg, La France protestante, Paris, 1846-1859, 1, pp. 20-22 ; Lastic de Saint Jal, « Le comte de Parabère et sa famille », Mémoires de la Société des antiquaires de l'Ouest, 1885, VII, 2e série, pp. 449-535 ; A. Benoist, « Catholiques et protestants en Moyen-Poitou jusqu'à la révocation de l'Édit de Nantes », Bulletin de la Société historique des Deux-Sèvres, 1983, XVI, 2e série, pp. 235.439 ; L. Favre, Histoire de la ville de Niort depuis les origines jusqu'à 1789, Niort, 1880.

25. On ignore si Henri de Baudéan a reçu cette distinction pour lui-même ou au nom de son père décédé (qui aurait été nommé dans cet ordre juste avant de mourir).

26. Sur l'imprimerie, les marchands-libraires et la circulation des livres dans la région, voir H. Clouzot, Notes pour servir à l'histoire de l'imprimerie à Niort et dans les Deux-Sèvres, Niort, 1892 et L. Chatenay, La vie intellectuelle en Aunis et Saintonge de 1550 à 1610, La Rochelle, 1959, Librairie du Quartier latin, 2 vol.

27. Parmi les études les plus récentes, voir B. Jestaz, « L'influence flamande en France à la fin du XVIe siècle », Actes du colloque international sur l'art de Fontainebleau, op. cit., pp. 75-83.

28. En ce qui concerne les peintures murales du château du Lude, on notera que J. Ehrmann proposait qu'elles eussent été l'œuvre de plusieurs peintres flamands dans « Artistes franco-flamands de l'École de Fontainebleau... », Bulletin de la Société d'histoire de l'art français, 1972, pp. 63-77. Dans notre région elle-même, il y aurait probablement d'autres exemples, dont celui du cycle de la vie et de la passion du Christ peint sur petits panneaux du cabinet des peintures (dit aussi « salle de bain ») au château de la Roche-Courbon (Charente-Maritime), Ces panneaux, sans doute un peu plus tardifs que ceux de La Mothe-Saint-Héray, et d'un style différent, laissent en tout cas supposer, dans leur apparence immédiate, une main flamande.