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LA VIE SILENCIEUSE

 

Introduction :

Le terme nature morte désigne la représentation peinte d'objets inertes, qu'ils appartiennent au règne de la nature (fruits, fleurs, légumes, gibiers, poissons, crustacés…) ou soient le produit de l'industrie humaine (livres, objets scientifiques, instruments de musique…).
Ce terme n'apparaît pas avant le milieu du XVIIIe siècle.

Auparavant on parlait de "still-leven " aux Pays-Bas (still = immobile ; leven = nature), qui donne "stillleben " en Allemagne ou encore "still-life " dans les pays anglo-saxons. En Espagne, on parle de "floreros y bodegones " c'est-à-dire fleurs et coins de cuisine. En France, on emploie "nature reposée ", "vie coye " ou " nature inanimée ".

C'est en 1756, qu'apparaît, pour la première fois, l'expression "nature morte ".

Les sources :

Dans l'art grec hellénistique, certains artistes s'étaient rendu célèbres en se spécialisant dans la représentation d'objets de la vie quotidienne (il ne reste malheureusement rien de leur travail qui ne nous est connu que par les copies romaines). On raconte que le peintre Zeuxis avait si bien réalisé ses raisins que les oiseaux, trompés, venaient les picorer.

A l'époque romaine, le terme de rhyparophage désigne les peintres d'objets communs. Des fruits, poissons ou volailles, exécutés en trompe l'œil, étaient "posés " sur une marche de pierre, une étagère et ne sont pas sans évoquer le xenion antique, présent de vivres, que le maître de maison offrait à ses invités.

On ne peut pas de parler de nature morte en ce qui concerne l'art du moyen âge, essentiellement inspiré par la religion. Les artistes ont tout de même cherché à reproduire ce qui les entourait.

C'est à la Renaissance, que les éléments qui constitueront les bases de la nature morte se mettent en place. L'intérêt pour le monde profane et la redécouverte des grotesques antiques conduit les artistes à donner l'illusion de la réalité. Pour cela, ils utilisent principalement la technique de la marqueterie (Baccio Pontelli au palais ducal d'Urbino, Fra Giovanni da Verona à Santa Maria in Organo, Vérone) et de la miniature.
En Allemagne, le thème de l'armoire entrouverte présentant une niche encombrée de bouteilles et de vases est le plus fréquent.

Les peintres flamands du XVIe siècle vont faire de la représentation minutieuse des objets de l'existence quotidienne un genre à part entière. La mode des chambres des merveilles et des cabinets de curiosités, l'invention du microscope vont fournir les principales ressources iconographiques. Dans un premier temps, la nature morte n'est qu'un élément du tableau, mais rapidement, elle occupe la place principale rejetant à l'arrière-plan la scène, souvent religieuse, qui lui sert de prétexte.

Un genre qui conquiert ses lettres de noblesse :

Au début du XVIIe siècle, la nature morte se développe en Hollande, en Flandres et en Allemagne.
Ce sont principalement des fruits, des fleurs et des repas servis.
Les objets sont nettement séparés les uns des autres, et sont présentés selon une perspective plongeante.

En Hollande, le thème principal est la table servie qui permet aux peintres d'explorer toutes les facettes de leur sujet par de savantes mises en scène, de subtils jeux de couleurs et de lumières, et enfin, par association ou contraste de matière.
Au milieu du siècle, la Réforme aidant, le repas se fait plus discret. On parle alors de "déjeuner monochrome " qui présente un nombre plus restreint de choses dans une gamme chromatique de bruns et de gris.
C'est aussi à ce moment-là que triomphent les "vanités ", réflexion sur la mort et la condition humaine.

En Italie, la peinture de nature morte est dominée par le Caravage (Corbeille de fruits, Milan, Ambrosienne) qui scandalise ses contemporains en affirmant : " Il me coûte autant de soin pour faire un bon tableau de fleurs qu'un tableau de figures. "
Les artistes de Bergame et de Naples sont les plus productifs.
A la fin du XVIIe siècle, Rome devient un centre international de nature morte essentiellement utilisée comme décor (Francesco Fieravino, dit le Maltais, Mario Nuzzi, dit dei Fiori ou Cerquozzi).

La nature morte fut introduite en France par les artistes flamands installés, dès la fin du XVIe siècle, dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés.
Elle est assimilée, selon les canons de l'Académie, à un genre mineur. Au début du XVIIe siècle, les sujets sont austères, imitant en cela le travail des artistes flamands, mais bientôt, sous l'impulsion d'un Paul Liégeois ou d'un Pierre Dupuis, les artistes s'émancipent et s'orientent vers un style plus décoratif, aidés en cela par le mécénat royal à la recherche d'effets artistiques baroques pour décorer les suites somptueuses des palais.

Au XVIIIe siècle, l'intérêt des artistes se porte sur la vie bourgeoise et simple dont ils représentent les objets familiers.
On note une certaine liberté devant l'objet et une disposition de plus en plus naturelle. L'art de Chardin illustre cette évolution. Ses compositions sont sobres, la lumière est douce, l'atmosphère intime. A la fin du siècle, la peinture de nature morte se cantonne à un rôle décoratif et s'encastre dans des parois ou sert de devant de cheminées.

Les XIXe et XXe siècles :

Les néo-classiques, les romantiques (à part Delacroix) et les impressionnistes s'intéressent peu à la nature morte. Il faut attendre Van Gogh et Cézanne pour que le genre, soumis à des motivations nouvelles, fasse sa réapparition. Van Gogh utilise l'objet comme moyen d'expression, comme symbole. Ainsi les Vieux souliers peints en 1886 (Van Gogh Museum, Amsterdam) sont un moyen de décrire la misère dans laquelle il vit. En ce qui concerne Cézanne, les objets sont prétexte à une reconstruction intellectuelle et plastique qui annonce le mouvement cubiste. Chez les surréalistes, l'objectif n'est pas de peindre les objets tels qu'ils sont, mais plutôt de les détourner de leur sens pour aboutir au rêve, au fantastique, à l'étrange. Le Pop'Art et le Nouveau Réalisme se sont aussi intéressés à l'objet comme témoin des problèmes de société. On est en droit de se demander, dans ces deux cas, s'il s'agit toujours de nature morte.