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FURCY DE LAVAULT REDÉCOUVERT

"Un jeté de fleurs mauves et jaunes, motif apparemment simple à l'extrême, n'est pas à la portée du premier venu. Le désordre menace la composition et la sucrerie, la palette. Furcy triomphe des brouillonnes inflorescences des lilas et des boutons d'or par une connaissance hors pair de l'anatomie florale. Tout est respecté, jusqu'au moindre pétale tombé des thyrses de lilas, mais rien n'est sottement détaillé. La touche est solide sans lourdeur, la palette franche et harmonisée par les verts des feuillages et les gris chauds du fond, le métier assuré jusqu'à la désinvolture" ( Cf. Elisabeth Hardouin-Fugier et Etienne Grafe, Les peintres de fleurs en France de Redouté à Redon, Paris, Ed. de l'Amateur, 1992, p. 340.)


Cette appréciation élogieuse, de même que les enchères élevées récemment atteintes en ventes publiques par des œuvres de Furcy de Lavault, montrent combien cet artiste charentais longtemps mésestimé effectue aujourd'hui, à la faveur de la redécouverte de la peinture " naturaliste " et officielle de la fin du XIXe siècle, un juste retour sur la scène fort capricieuse du goût. Il est vrai que ce regain d'intérêt s'accompagne également d'une meilleure connaissance de la carrière du peintre et de son œuvre.


Tibulle-Marie Furcy de Lavault est né à Saint-Genis-de-Saintonge le 4 mars 1847. Son père Charles-Eugène Delavault, ferblantier de vingt-six ans, et sa mère, lingère du même âge, étaient assurément d'un milieu modeste, même si la famille de Lavault, dont une branche s'était fixée en Aunis dès le XIIIe siècle, se rattachait à la noblesse poitevine.
Si l'on en croit des notes conservées par ses descendants, le jeune Furcy apprit le dessin au collège de Saintes et débuta dans la peinture en bâtiment. A l'âge de 17 ans, atteint de saturnisme suite à une intoxication due à l'usage du blanc de céruse ou blanc de plomb, il se serait tourné vers la peinture de chevalet et un certain Savarin, peintre bordelais dont nous n'avons pas retrouvé la trace, aurait été son premier maître. Son acte de mariage, le 7 juillet 1868 à Jonzac, avec Marie-Louise-Chloé Bardet, d'une année sa cadette, indique qu'il exerçait alors la profession de "peintre décorateur".

Le peintre et son œuvre

L'une de nos principales sources d'information sur sa production picturale demeure les nombreux livrets des Salons auxquels il participa, notamment sous l'égide de plusieurs Sociétés des Amis des Arts de province. Il débuta ainsi à Bordeaux en 1874, Salon auquel il demeura fidèle jusqu'en 1885, puis à nouveau de 1887 à 1893, et enfin en 1900. Il se tourna en 1880 vers le fameux Salon de Paris et vers celui, plus modeste, de Pau. Si ce n'est en 1882, il reviendra régulièrement à Paris jusqu'en 1891, mais continuera à envoyer des œuvres à Pau jusqu'en 1894. Par ailleurs, outre quelques participations mal documentées à des expositions de Saintes, Angoulême, Nantes, Rochefort et La Rochelle, il présenta également des œuvres au Salon de Lyon en 1882, 1886 et de 1889 à 1891. Si sa participation aux Salons de Paris et de Lyon révèle une ambition nationale, il privilégia néanmoins les expositions organisées dans le sud-ouest.

Il convient de parcourir de plus près le cheminement de notre artiste.
Furcy de Lavault affirmait lui-même avoir commencé sa carrière comme portraitiste. Cela est tout à fait vraisemblable, mais les rares portraits datés ou datables que nous connaissons de lui, tous familiaux, s'échelonnent entre 1876 et 1896, c'est-à-dire tout au long de sa période de pleine production. Fut-il influencé par les élégances mondaines d'un Jules-Bastien Lepage (1848-1884) ou surtout d'un Carolus-Duran (1837-1917), très à la mode, ou même d'un Léon Bonnat (1833-1923), portraitiste officiel de la IIIe République, artistes qui brillaient régulièrement aux cimaises du Salon parisien ? C'est probable lorsque l'on considère l'affectation de certaines attitudes. Mais la plupart de ses portraits intimes sont sobres et lumineux, comme les divers portraits de son fils Gaston, pour lesquels il trouve parfois un accent d'une sincérité touchante, même s'il ne parvient jamais à nous faire vraiment percevoir la personnalité profonde de son modèle. Son véritable talent était assurément ailleurs.

Furcy fut-il oui ou non un élève de Corot ? Rien ne nous permet jusqu'à présent de le confirmer, mais nous savons aussi que ce grand maître de la peinture de son temps était un homme très réservé, fuyant la doctrine, et qui limita son enseignement à des exemples et des conseils dont les confidents furent souvent des peintres modestes. Peut-être Furcy fit-il partie de ces rares privilégiés ? Quoi qu'il en soit, même s'il exposa presque essentiellement des paysages avant 1880, il devait continuer à pratiquer ce genre jusqu'à la fin de sa carrière et l'empreinte de Corot y est toujours manifeste.

Néanmoins ce peintre ne fut pas imperméable aux autres personnalités picturales de son temps. Charles Daubigny, lui-même proche de Corot, lui donna certainement davantage encore le goût de la peinture sur le motif et le rendit sensible à une luminosité, une richesse de la couleur qu'exaltaient simultanément les impressionnistes. Mais qu'il s'agisse du paysagiste ou du peintre de genre qu'il fut à l'occasion en introduisant quelques personnages dans ses compositions, Furcy ne parvint pas non plus dans ce domaine à se démarquer vraiment de ses contemporains. C'est en fait dans la spécialité de peintre de fleurs qu'il put le mieux manifester son originalité.

Autour de 1879-1880, il privilégia donc cette nouvelle voie. A la suite de peintres fleuristes déjà réputés, Henri Biva, Eugène-Henri Cauchois, Achille-Théodore Cesbron et bien d'autres, Furcy se lance dans la bataille et parvient très rapidement à s'imposer à leurs côtés. Tous ces artistes sont en fait des virtuoses qui rivalisent "d'habileté en utilisant, comme des prestidigitateurs, brosses, chiffons, racloirs, tubes, couteaux à palette et, pourquoi pas, leurs doigts… [Ils font preuve d'] un far presto qui s'efforce non seulement de briller pour lui-même, mais aussi d'exprimer la précarité du modèle". Le succès est au rendez-vous et dès 1881 le Musée des Beaux-Arts de Pau lui achète ses "Grenades et chrysanthèmes".
Mais son véritable couronnement fut assurément l'obtention en 1888 d'une "Mention honorable" pour "Fleurs et fruits", exposé cette année-là au Salon de Paris.

Furcy devait bien des années encore inonder salons et galeries de ses coins de jardin, de ses fleurs et de ses fruits. Mais outre ces compositions foisonnantes et de grand format qu'il réservait prioritairement aux Salons, il adapta ses recettes décoratives et opulentes à des toiles de taille plus modeste que les amateurs pouvaient accrocher avantageusement dans leurs appartements.

Le conservateur de musée

Probablement soutenu dans sa candidature par des appuis locaux et peut-être même par des responsables parisiens, Furcy de Lavault est nommé et installé conservateur du musée de La Rochelle le 14 mars 1882, le lendemain même du départ à la retraite d'Edouard Pinel, son prédécesseur. Sa nomination était apparemment largement approuvée par l'opinion publique.

L'artiste allait dès lors partager son existence entre ses fonctions de conservateur du musée, accessoirement de professeur de dessin et de peintre soucieux de poursuivre ses activités professionnelles et de participer au mouvement artistique de son temps.
Il ne faut au demeurant pas perdre de vue que la fonction scientifique de conservateur, telle que nous la connaissons aujourd'hui, n'existait guère à l'époque pour les musées des beaux-arts et que l'on demandait d'abord à un conservateur, lequel n'avait reçu aucune formation spécifique, de savoir accrocher et surtout restaurer - pour ne pas dire "réparer" ou "repeindre" - les toiles qui lui étaient confiées. Cette conception assez archaïque du métier devait perdurer longtemps, surtout en province, et il n'est pas surprenant de constater que d'Edouard Pinel en 1867 à Gaston Balande en 1954, soit jusqu'à une date très récente, tous les conservateurs du Musée des Beaux-Arts de La Rochelle furent des artistes peintres.

Retiré en avril 1912 de ses occupations publiques, il préféra quitter La Rochelle et s'installer près de son fils, Gaston, qui résidait au château de Callières à Clérac (charente-maritime). Il y avait fait construire une maison baptisée opportunément "Mon Repos" et il y décéda le 13 février 1915. Sa disparition est mentionnée brièvement dans la rubrique nécrologique de La Charente-Inférieure du 16 février suivant, et il faut attendre plus de 75 ans avant que les amateurs sachent à nouveau percevoir le charme quelque peu suranné mais délicat d'une peinture qui fut avant tout celle de son époque.

© Musées d'art et d'histoire, La Rochelle© Alienor.org, Conseil des musées