Du chanvre à la corde

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Introduction

Les collections ethnographiques du musée d’Airvault présentent une grande diversité d’objets. Différents corps de métiers liés à une activité agricole et artisanale sont représentés au moyen des outils conservés. La culture du chanvre pour la production de filasse en fait partie. Elle permettait la fabrication de cordes qui étaient utilisées principalement dans le domaine de l’agriculture et pour le commerce avec la marine.

La toponymie nous renseigne sur la présence de cette activité. Il existe encore actuellement à Airvault la rue des Chènevières, au lieu-dit « Les Rivières » ou encore « le champ des Rivières », terrains irrigués par des cours d’eau propices aux cultures du chanvre et du lin attestées par les archives du XIXe siècle.

Actuellement la Place des Corderies existe toujours et il est même fait mention de la « Place des Cordiers » et de « l’impasse des Cordiers » sur le plan d’alignement de la ville d’Airvault établi en 1848. C’est sur cette place qu’étaient fabriquées les cordes.

Les cordiers recensés sur le territoire airvaudais

Deux familles de cordiers sont connues à Airvault, la famille Merling et la famille Chauveau dont les descendants peuvent témoigner de la fin de l’activité au cours de la première moitié du XXe siècle en raison de la modernisation.
Les deux cordiers d’Airvault étaient voisins et travaillaient ensemble, dans la rue Constant Balquet, attenante à la place des Cordiers.

La tradition orale de la famille Chauveau en fait les descendants des bâtisseurs de cathédrales. Certains membres sont originaires d’Angers. Les archives de la famille attestent que le métier de cordier est exercé de père en fils depuis le milieu du XVIIIe siècle. Citons quatre générations de cordiers : Michel (maître-sellier de l’empereur), Urbain, Émile et Louis le dernier cordier officiel. Leur atelier était situé dans la rue de la Poste.

La famille Merling a exercé le métier de cordier plus longtemps, jusqu’au milieu du XXe siècle. Les cordiers sont attestés de père en fils depuis le début du XIXe siècle (Jules Marcellin Merling). Le dernier cordier de la famille vendait des cordes dans le café qu’il tenait puis est devenu ensuite électricien corroyeur à la cimenterie d’Airvault.

À Saint-Jouin-de-Marnes, il existait un atelier de cordier sur la place du village. Paul Grosse, originaire de Paris, y a exercé le métier de cordier jusque dans les années 1930.

Il existait aussi probablement un ou plusieurs cordiers à Marnes, en témoignent simplement aujourd’hui la rue des Cordiers et les Chenevières aux bords de la Dive.

Récolte et production de chanvre à Airvault

Le chanvre est utilisé pour la fabrication de textiles par les tisserands et de cordes par les cordiers. C’est une plante riche en fibres, la récolte se fait par arrachage. Les plantes sont ensuite liées en petites bottes et destinées, après un petit temps de séchage, au rouissage.

Les archives attestent une production importante de chanvre au milieu du XIXe siècle sur le canton d’Airvault. Nous retiendrons par exemple les chiffres suivants pour l’année 1852 :

Récolte de graines de chanvre : 300 hectolitres
Nombre d’hectares cultivés : 75 hectares
Quantité de filasse recueillie : 540 quintaux

Au début du XXe siècle, la production a considérablement baissé : on ne compte plus que 9 hectares cultivés pour une production de 35 quintaux de filasse en 1900. Cette chute de la production a été très rapide puisqu’en 1885 les statistiques agricoles font part d’une production encore égale à 500 quintaux de filasse sur le même canton.

Le rouissage du chanvre

Le rouissage consiste à faire macérer le chanvre dans l’eau pendant plusieurs jours. Cette opération était réalisée dans les nombreux cours d’eau d’Airvault tels que les « Rivières » ou encore le ruisseau Saint-Pierre. Cette opération polluait l’eau, c’est pourquoi elle est réalisée dans l’eau courante. En 1842, un acte administratif interdit le rouissage du chanvre et du lin dans la rivière (le Thouet) : « aucune portion de chanvre ou lin ne pourra être déposée dans l’eau si elle n’a pas été préalablement séchée à l’air et si la tige n’a pas été dégagée avec soin de ses feuilles et graines ».

Le rouissage permet de dissoudre la gomme qui soude les fibres de la plante. Dès que les fibres se détachent sur toute la longueur, la plante est sortie de l’eau pour être séchée.

On peut ensuite procéder au broyage.

La préparation de la filasse

Le broyage et le teillage

Le broyage se faisait à l’aide d’une broie (broye en langue ancienne ou encore brée ou braye en langue poitevine). C’est une sorte de grande mâchoire en bois, parfois en métal qui se referme sur les tiges. En passant les plantes dans la broie, toutes les parties non fibreuses sont broyées.

Dans la Vienne, à Ouzilly, il arrivait qu’après avoir broyé le chanvre dans une broie en bois, on utilisait celle en métal pour affiner le travail.

Le teillage permet d’éliminer toutes les parties broyées au cours de l’étape précédente. Le teillage est réalisé avec de gros peignes (dits aussi « pointes à chanvre ») posés à plat dans lesquels on passe les fibres pour les débarrasser des dernières impuretés. On ne conserve alors que la fibre sous forme de filasse. Cette opération nécessite un véritable tour de main pour extraire la fillasse des pointes métalliques de l’outil. Les descendants de cordier se souviennent, étant enfants, ne pas avoir le droit de toucher aux pointes à chanvre sous peine de punition.

Le cardage ou affinage

L’affinage de la fibre se fait au moyen de cardes. Les fibres sont peignées et démêlées afin de les rendre bien parallèles pour le filage.

Pour cette opération, on utilisait des cardes à main. Avec l'essor de la mécanisation au XIXe siècle, les cardeuses mécaniques (à balancier) puis les cardeuses à tambour ont remplacé l'outillage manuel. Ces machines étiraient les fibres, par un mouvement mécanique latéral.

La fabrication de la corde

Le filage

L’étape préalable à la fabrication de la corde est le filage à partir de la filasse. On réunit les fibres de chanvre pour constituer le fil. Cette opération se fait par torsion des filaments de chanvre de façon à ce qu’ils restent solidaires.

Le fil de caret est le premier élément pour former les cordes.

On distingue le filage à la ceinture du filage à la quenouille.

Dans le premier cas, le fileur met du chanvre peigné  (dit « peignons » ) autour de sa taille. Le filage à la quenouille est plus connu en usage domestique.

Pour la fabrication de cordes, le filage à la ceinture est le plus usité. Le fileur forme une petite boucle qu’il accroche dans un crochet dont la mollette est actionnée par un rouet. Le rouet actionné fait tourner le crochet tordant ainsi le fil en même temps que le fileur alimente le fil en chanvre. Le fileur recule au fur et à mesure de la torsion pour tendre le fil en formation. Il a dans sa main une paumelle qui enveloppe le fil et lui permet de le serrer tout en tirant dessus afin d’éviter le pliage lié à la forte torsion.

Le fil passe ensuite à la livarde qui est un cordage avec lequel on frotte le fil qui vient d’être réalisé pour le polir. Ce fil est ensuite dévidé et stocké sur des dévidoirs ou tourets.

Le lieu où s’effectue le filage est la filerie. Mais il pouvait se faire en extérieur, dans les fossés ou le long des remparts de villes. À Airvault l’atelier de la famille Merling était situé dans la rue de la Fuye (face au four à chaux) probablement en extérieur.

L’ourdissage

Avant de commencer la fabrication de la corde, on déroule les fils stockés sur les dévidoirs pour les étendre sur toute la longueur de l’atelier.

Pour cette raison, l’atelier du cordier est tout en longueur.

Les fils doivent être de même longueur, même grosseur et même tension. Cette opération est appelée l’ourdissage. Pour soutenir les fils lors de cette opération et les séparer, on utilise des chevalets, sortes de grands râteaux en bois.

Le commettage

L’opération dite « commettage » permet de réunir les fils par torsion pour la fabrication des cordes. À une extrémité de la corderie se trouve le chantier (partie fixe avec le rouet et les mollettes), à l’autre se trouve le carré, partie mobile avec le chariot.

Le rouet est une grande roue qui permet d’effectuer la torsion des quatre brins de la corde de façon simultanée. Grâce à un système de poulies, le rouet actionne les quatre molettes (ou plus suivant le type de corde produite) sur lesquelles sont accrochés les brins. À l’autre bout les fils sont réunis et accrochés à un émerillon fixé à un chariot muni d’une manivelle qui tourne dans le sens contraire du rouet. Cela permet d’accélérer la vitesse de torsion de la corde. Ce chariot (dit « quarret » dans l’encyclopédie Diderot-d’Alembert ou encore traîneau) est monté sur roulettes en raison du fait que la corde se raccourcit au fur et à mesure qu’elle se façonne. Mais afin de maintenir une bonne tension de celle-ci et d’éviter qu’elle se replie, on leste le chariot avec des pierres pour ralentir sa progression. Le raccourcissement de la corde en cours de fabrication est environ d’un tiers.

Pour assurer la régularité de la torsion, on place tout près de l’émerillon un couchoir dans les rainures duquel viennent s’inscrire les torons. Au fur et à mesure que la corde se forme, le couchoir remonte vers le rouet. Le couchoir est également appelé, selon les régions, le cochoir, le toupin (sud de la France) ou encore cabre, masson, sabot et gabien (cf. encyclopédie du XIXe siècle).

Sur certains métiers plus rudimentaires, un simple bâton de bois placé par le cordier assure la régularité de la corde en remontant vers le rouet.

Pour certains cordages et avec la mécanisation sont apparues les câbleuses, alimentées parfois par un moteur à essence.

Les cordes

Pour les petits cordages, on tord directement les fils de caret ensemble.

Pour les cordages plus gros, on réunit plusieurs fils qui forment des faisceaux, chaque faisceau sera tordu à part pour former un toron. Les torons serviront ensuite à la fabrication de gros cordages : cordes à trois, quatre ou six torons.

Pour les gros cordages, un filament central forme l’âme de la corde.

À Airvault le cordier fabriquait surtout des longes pour les attelages agricoles, ce qui explique qu'il était aussi parfois bourrelier (les témoignages oraux récoltés auprès des descendants citent les longes, les guides, ou encore les traits).

Le métier de cordier

Le métier de cordier apparaît dès le Moyen-Âge. La première communauté de cordiers, celle des cordiers de Paris, aurait déposé ses statuts le 17 janvier 1394. Ailleurs, les Compagnons Cordiers du Devoir font naître leur société en l’an 1000 à Auxerre, mais le tableau de préséance de 1807 propose la date de 1407 pour la naissance de leur société du Devoir.

Les sièges compagnonniques étaient établis près des ports maritimes (Rochefort,…) ou le long des fleuves navigables (Tours, Angers,…).

Cependant, tous les cordiers n’étaient pas Compagnons du Devoir. Leur métier étant souvent exercé en saison estivale, l’hiver était occupé au travail plus minutieux pouvant être effectué sous abris. Des travaux de bourrellerie étaient alors réalisés comme par exemple les émouchettes pour les chevaux.

En outre, des travaux réalisés pour le plaisir d’exercer son savoir-faire pouvaient voir le jour en cette période. C’est le cas de Paul Grosse, cordier à Saint-Jouin-de-Marnes, qui n’était pas Compagnon du Devoir mais qui a réalisé deux maquettes en cordage : une horloge et une tour Eiffel.

Lexique

Cardage (n. m.) : opération par laquelle on démêle les fibres textiles, on les isole et on les nettoie.
Caret (n. m.) : dévidoir de cordiers.
Devoir : Le Devoir est l’ensemble des règlements et rites adoptés par les Sociétés de Métiers.
Fil de caret (n. m.) : gros fil de chanvre qui servait à fabriquer les cordages pour la marine.
Chènevière (n. f.)
 : champ où croît le chanvre. (cannebière dans le sud-Est).
Chènevotte (n. f.) : brin, morceau de la partie ligneuse du chanvre dépouillé de son écorce.
Étoupe (n. f.) : partie la plus grossière de la filasse. Étoupe blanche : résidu du chanvre travaillé dans les corderies.
Filasse (n. f.) : matière textile végétale non encore filée.
Rouissage (n. m.) : action de rouir. Le rouissage se fait en immergeant les tiges dans l’eau, ou en les exposant à la rosée, à la chaleur humide.
Rouir (v.) : isoler les fibres textiles en détruisant la matière gommeuse (pectine) qui les soude.
Teiller ou tiller (v.) : débarrasser le chanvre (ou le lin) de la teille, séparer les parties ligneuses (chénevotte) de la fibre.
Teille (n. f.) : écorce de la tige de chanvre.

Bibliographie

D. DIDEROT, J. D’ALEMBERT, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des Métiers, Paris XVIIIe siècle
P. INGOUF, Un métier aujourd’hui disparu : « Maître-Cordier », Folklore de France, 1982, n°186
Les cordiers du boulonnais, Les Échos du Chanvre, 1996
Encyclopédie du dix-neuvième siècle, répertoire universel des sciences, des lettres et des arts, Librairie de l’encyclopédie du XIXe siècle, Paris 1877, Tome 12
C. C. LALANNE, Glossaire du Patois Poitevin, Marseille 1976
E. O. LAMI, Dictionnaire encyclopédique et biographique de l’industrie et des arts industriels, Paris
R. LECOTTE, Archives historiques du compagnonnage : exposées au Musée National des Arts et Traditions Populaires, Paris 1956

Sources

Archives municipales : statistiques agricoles pour le canton d’Airvault
Documents sonores : UPCP Métive, Centre d’Études, de Recherches et de Documentation sur l’Oralité.

 

Remerciements

Michel Valière, ethnologue
Michèle Girault (née Merling)
Andrée Girard
À la mémoire d'Yves Chauveau, pour les informations précieuses qu'il a fourni pour la réalisation de ce dossier.