Abbaye Saint-Pierre de Lesterps
La silhouette imposante du clocher-porche de l'abbaye de Lesterps est renforcée par l'emploi, aux confins du Limousin, d'un granit local dont la couleur contraste avec la blancheur du calcaire généralement utilisé dans notre région.
Cette abbaye de chanoines réguliers, fondée à la fin du Xe siècle par Jourdain 1er de Chabanais et sa femme, appartenait à l'ordre de saint Augustin et relevait du diocèse de Limoges. En 1070, l'abbé Gautier, qui dirigeait la communauté de clercs vers 1032, est inhumé en odeur de sainteté dans une « église neuve », la nef. Lors de la cérémonie de bénédiction de l'abbatiale, en 1090, elle a été dédiée aux saints Pierre et Paul et à saint Gautier.
L'abbaye de Lesterps formait un ensemble considérable dont il ne reste que le clocher-porche et la nef datés du début de l'âge roman. Ils constituaient l'espace ouvert aux paroissiens, séparé du chœur des chanoines par un mur. Le massif oriental, transept et chevet à déambulatoire, a été détruit au cours des guerres de Religion, tandis que les bâtiments conventuels qui avaient été relevés au XVIIe siècle ont été dispersés lors de la Révolution française. Au XIXe siècle, la nef restaurée par l'architecte Paul Abadie est dotée d'une abside en hémicycle. L'abbaye de Lesterps a exercé une influence aussi puissante que celle de Charroux (cf parcours en Vienne), ordre de saint Benoît, distante d'une trentaine de kilomètres et que rappelle, malgré l'importance des dommages et destructions subis, le caractère imposant de leurs vestiges qu'il s'agisse du clocher-porche de l'une ou de la tour-lanterne de l'autre. Rémanence des églises–porches carolingiennes, la présence d'un clocher-porche s'observe dans quelques édifices du XIe siècle comme à Saint-Savin-sur-Gartempe, Saint-Porchaire de Poitiers ou encore à l'abbaye d'Airvault que, depuis Lesterps, l'abbé Pierre de Saine-Fontaine était venu réformer.
Vue de l'abbaye d'Airvault
(cf : Parcours en Deux-Sèvres pour plus de détail)
Construit en pierres de taille, le clocher-porche de l'abbatiale de Lesterps s'élève à 43 mètres. Il présente trois niveaux principaux séparés par deux niveaux intermédiaires pleins, rythmés par des corniches. L'effet de verticalité est accentué par les colonnes engagées s'élevant presque jusqu'aux deux tiers de la hauteur.
Au rez-de-chaussée, le porche comprend trois vaisseaux de trois travées, voûtés de berceaux longitudinaux à doubleaux. Les arcs reposent sur des piles quadrilobées aux chapiteaux décorés de volutes d'angle. Les chapiteaux pouvaient être peints, comme ceux provenant de l'église Saint-Nicolas de Poitiers (XIe siècle, détruite) et conservés au musée Sainte-Croix. La travée centrale, plus large, donne sur l'entrée de la nef.
Au-dessus du premier niveau intermédiaire, le deuxième étage, très élevé, est éclairé sur trois côtés par de hautes baies en plein-cintre ouvertes entre deux arcatures aveugles. Une salle dont la fonction liturgique est mal connue donne sur la nef par une tribune (aujourd'hui non accessible au public) ; elle est couverte d'une coupole à huit pans sur trompes, dissimulée dans le second niveau intermédiaire. Le troisième étage, nettement en retrait, rappelle l'ordonnance du rez-de-chaussée ; il est couvert d'une coupole. L'imposant clocher-porche de l'abbaye de Lesterps doit ses qualités à l'unité de son architecture sobre et dépouillée et à l'élégance de ses proportions.
La nef est constituée, comme le porche, de trois vaisseaux ayant trois travées de profondeur. Les collatéraux s'élèvent presque aussi haut que le vaisseau central, éclairé ainsi par une lumière indirecte selon un procédé fréquent en Poitou. L'ensemble est voûté en berceau sur doubleaux dont les arcs, ainsi que les grandes arcatures latérales, reposent sur des piles quadrilobées dépourvues de chapiteaux. Les murs de la nef sont en moellons, la pierre de taille étant réservée aux contreforts et aux piles intérieures, ce qui trahit une antériorité de la nef sur le clocher-porche érigé en maçonnerie appareillée.
Il est donc possible que ce dernier ait été construit devant un portail primitif, détruit plus tard comme le suggèrent les raccords des tourelles d'escaliers. Seule la tourelle nord est d'origine, l'autre ayant été refaite par Paul Abadie.
À l'intérieur de l'église, des chapiteaux romans sont insérés dans le mur sud. L'un d'eux illustre la Résurrection du Christ, un autre est orné d'un réseau de pommes de pin. Ces deux chapiteaux, ainsi que les clefs de voûte et un autre chapiteau, provenant de l'ancien chevet et réutilisé en fonts baptismaux, sont en calcaire, plus facile à travailler que le granit.
Les chapiteaux historiés sont la grande invention de l'art roman. Apparus au clocher-porche de l'abbaye de Fleury (Saint-Benoît-sur-Loire), puis à Saint-Hilaire de Poitiers, ils illustrent des thèmes tirés de l'Ancien ou du Nouveau Testament. L'exemple de Daniel dans la fosse aux lions peut symboliser l'image du Chrétien livré aux forces du mal ou d'un religieux en proie au pouvoir temporel mais aussi, de façon plus subtile et sans doute plus accessible à la plupart des fidèles, annoncer la Crucifixion et la Résurrection du Christ. Des épisodes de la vie de Jésus, comme l'Entrée du Christ dans Jérusalem (musée de Niort) provenant de la célèbre abbaye de Charroux ou encore des scènes de la vie quotidienne, sont autant de sujets qui ont pris place sur ce support privilégié et dont la verve est particulièrement pittoresque en Poitou-Charentes. Le célèbre chapiteau de la Dispute montre un homme perché dans un arbre occupé à la taille des rameaux, puis deux hommes qui s'empoignent par la barbe et brandissent leurs serpes tandis que, de chaque côté, leurs épouses tentent de les séparer et, enfin, leur réconciliation, alors que les deux hommes sont désormais estropiés. Les chapiteaux disparaissent à l'époque gothique.