Église Saint-Pierre de Châteauneuf-sur-Charente
L’église Saint-Pierre-aux-Liens de Châteauneuf-sur-Charente est un ancien prieuré bénédictin de l’abbaye de Bassac. Le bourg doit son nom à la reconstruction, après l’incendie de 1081, du château qui avait une importance stratégique, car il commandait le seul pont en pierre sur la Charente entre Angoulême et Cognac. Le prieuré, dont les bâtiments conventuels n’existent plus, paraît avoir été érigé à la même époque. L’église a subi de nombreuses vicissitudes et, dans la seconde moitié du XVe siècle, le clocher, le chœur et le bras nord du transept ont été reconstruits. Après la Révolution française, elle servit de prison. Classée au titre des Monuments Historiques en 1862, elle a été, comme beaucoup d’édifices charentais, considérablement restaurée par l’architecte Paul Abadie. Sous sa direction, toutes les parties hautes ont été reprises et de nombreux chapiteaux de la nef remplacés. L’église n’en reste pas moins, pour sa façade et l’œuvre sculptée, un des sites majeurs de l’âge roman en Angoumois.
La façade à deux niveaux est divisée en trois larges travées délimitées au rez-de-chaussée par des pilastres, évoluant en colonnes engagées à l’étage, et s’achève par un pignon triangulaire percé d’une étroite fenêtre. La travée centrale, unie sur toute la hauteur par une monumentale arcature, est mise en valeur par une surélévation du mur-pignon. Au premier niveau, le portail en plein-cintre est dépourvu de tympan, le décor prend place sur une voussure à trois rouleaux. Sur le premier, un médaillon central reçoit l’Agneau tenant le Livre de Vie. Il est placé entre les symboles des évangélistes accompagnés d’un ange (aigle, l'ange, le taureau, le lion). Sur le troisième rouleau et l’archivolte règne un décor de feuillages stylisés. Entre les deux, se développe un somptueux motif de rinceaux animés de personnages et d’animaux fantastiques, comparable à celui des chapiteaux qui s’étire en frise sculptée de part et d’autre du portail. Cet ensemble se rapproche de la sculpture saintongeaise. Il témoigne d’une même profusion de figures humaines ou animales, voire monstrueuses émergeant des rinceaux, d’un même effet décoratif et d’une imagination tout aussi débordante. Les sculptures des arcatures latérales et celles de la corniche (à l’exception de trois modillons) ont été restaurées. Remarquez au sud, parmi les modillons modernes, la caricature de Paul Abadie, représenté en acrobate, à la façon médiévale.
Le second niveau est orné de sculptures en ronde-bosse représentant quatre personnages difficiles à identifier et restaurés. L’un d’eux, placé au nord de la fenêtre d’axe, tenait un livre. Ce personnage a été assimilé à l’apôtre Pierre et doté de clefs à l’occasion d’une restauration. En revanche, sous l’arcature de gauche, la représentation d’un cavalier grandeur nature, dont le cheval foule un personnage allongé, n’a pas été modifiée. Une femme debout, richement parée, lui fait face. Le thème du cavalier est récurrent dans notre région et, bien que beaucoup de ces sculptures aient disparu, il en reste un certain nombre en place plus ou moins bien conservées, comme à Saint-Hilaire de Melle, Parthenay-le-Vieux ou Saint-Pierre d’Airvault. À Parthenay-le-Vieux, le cavalier est un seigneur partant pour la chasse, faucon au poing.
Ces personnages en ronde-bosse ont un traitement différent des décors du premier niveau. Le cavalier a une attitude altière, le drapé de son manteau flottant, le pied gauche sur l’éperon et la main sur la hanche où se distinguent des vestiges de doigts. Le harnachement du cheval est soigné, la tête qui se courbe et la patte avant gauche pliée donnent une impression de mouvement. Les silhouettes des autres personnages, la maîtrise des proportions et les plis au bas des vêtements rapprochent ces sculptures de celles de la cathédrale d’Angoulême. Il est possible qu’une équipe du chantier de la cathédrale ait exercé à Châteauneuf. La plupart des encadrements sculptés, des moulures, des chapiteaux et la moitié des modillons de la partie haute de la façade ont été refaits sous la houlette de Paul Abadie.
La nef, accessible en descendant quelques marches, possède trois vaisseaux de hauteur équivalente à six travées de profondeur et voûtés en berceaux renforcés par des arcs-doubleaux qui retombent sur des colonnes engagées. L’éclairage est indirect, pénétrant dans la nef par les baies aménagées dans les collatéraux selon un procédé plus fréquent en Poitou qu’en Charente où domine la nef unique. Le transept conserve, de l’époque romane, le croisillon sud à deux travées et une absidiole semi-circulaire couverte d’une voûte en cul-de-four. La première travée est prolongée par une chapelle rectangulaire servant de passage entre le transept et le chœur selon une disposition typique en Angoumois, procédé observable également à Lichères. Cet ensemble a été voûté au XVe siècle.
Soixante chapiteaux de la nef ont été remplacés ou grattés ou retaillés. Huit sont authentiques. Parmi ceux-là, deux sont conservés à l’extrémité orientale du collatéral nord et présentent, l’un, des figures à tête d’homme et corps d’oiseaux au milieu de dragons se tirant les cheveux, l’autre, un homme et une femme dans des rinceaux attaqués par des lions et des dragons. Trois sont situés dans le collatéral sud, illustrant respectivement une tête de démon parmi un combat de lions et d’oiseaux, des griffons affrontés et un décor de rinceaux. Trois autres chapiteaux romans sont préservés dans l’absidiole où le thème du sacrifice d’Abraham, illustré à deux reprises, fait face à un groupe de sonneurs de trompe. C’est également dans l’absidiole que se trouvent trois chapiteaux qui, restaurés sur une moitié seulement, permettent de comparer la sécheresse du ciseau du sculpteur du XIXe siècle au moelleux du geste de l’artiste du XIIe siècle. Le style des chapiteaux de l’église se rapproche de celui des sculptures de Saintonge.
Saint-Pierre de Châteauneuf-sur-Charente est intéressante à plus d’un titre.
La façade reprend le rythme de celle de la cathédrale d’Angoulême, le plan de la nef et le type des voûtes qui la couvrent sont poitevins, tandis que la chapelle rectangulaire servant de passage entre le transept et le chœur est typiquement charentaise. La qualité du décor sculpté pourrait être le fruit de deux ateliers, l’un, venant de Saintonge, aurait orné le premier niveau de la façade et l’intérieur de l’édifice, le second, ayant œuvré au chantier de la cathédrale d’Angoulême, aurait réalisé les grandes figures de la façade. Enfin, les architectes du XVe siècle ont su préserver l’harmonie de cet ensemble en intégrant parfaitement leurs reconstructions. Quant aux restaurations de l’architecte Paul Abadie qui peuvent paraître radicales ou excessives, elles donnent à l’édifice une certaine harmonie et illustre l’âge roman tel qu’il était perçu au XIXe siècle.