Abbatiale Saint-Pierre de Cellefrouin
L’abbaye de Cellefrouin est la plus ancienne fondation de chanoines réguliers de l’ordre de saint Augustin en Angoumois. Elle doit son nom au seigneur du lieu, Frouin, qui donna le terrain sur lequel s’est élevée une primitive cella. Devenu trop petit, l’oratoire a cédé la place à une église abbatiale érigée au cours de la seconde moitié du XIe siècle. Elle était achevée depuis quelque temps lorsque le pape Urbain II vint prêcher la croisade en 1096 et saisit l’occasion pour rattacher cette abbaye à celle de Charroux. La communauté dut alors se plier à la règle bénédictine, à l’exception de l’abbé qui s’était retiré en Périgord. À son retour, dans les premières années du XIIe siècle, il rétablit la règle des chanoines réguliers. L’abbaye a subi les vicissitudes des guerres de Religion au XVIe siècle. Les bâtiments conventuels n’ont pas été relevés, mais l’église a été restaurée à plusieurs reprises aux XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, et classée au titre des Monuments Historiques en 1907. Consacrée à saint Pierre lors de sa fondation, elle a servi d’église paroissiale sous le vocable de Saint-Nicolas qui lui est resté. Enfin, victime d’infiltrations causées par un environnement marécageux, l’église a bénéficié d’une campagne de travaux de terrassement et d’assainissement en 2011.
Au premier abord, l’église, conçue pour recevoir une couverture en pierre, a un aspect massif,
accentué par un enfoncement de près de 1,30 m dans le sol.
La
façade est l’une des plus anciennes appartenant à
l’âge roman en Charente. Elle est animée d’un niveau de cinq hautes et étroites arcatures en
plein-cintre, placées de part et d’autre de la travée d’axe, plus large (deux à gauche et trois
à droite). Le portail sans tympan, couvert en arc brisé, a été restauré au XVe
siècle. Il est surmonté d’une fenêtre en plein-cintre. Quatre
colonnes engagées, adossées aux pilastres des arcatures, s’élèvent sur le mur-pignon et
affirment le caractère initialement élancé de la façade. Une fine corniche souligne le pignon,
elle continue sur le fût des colonnes engagées et n’est interrompue que par la fenêtre d’axe, au
niveau des impostes. L’ordonnance de la façade de l’abbatiale de Cellefrouin n’est pas sans
rappeler le clocher-porche de Lesterps et anticipe celle de la cathédrale d’Angoulême, qui
servit elle-même de modèle à d’autres édifices.
À l’intérieur, la nef possède trois vaisseaux de hauteur équivalente à quatre travées de profondeur ouvrant sur un large transept à absidioles et une abside profonde. La croisée du transept reçoit une coupole octogonale sur trompes qui repose sur de grands arcs comparables à ceux de la nef. Éclairée par deux oculi, aménagés côté est, la coupole est soulignée par une corniche à modillons qui se prolonge dans le transept et sur les absidioles et donne une unité à cette partie de l’édifice. Certains modillons sont sculptés. Les absidioles du transept et le chœur sont voûtés en cul-de-four. La nef est couverte de voûtes en berceau dont les arcs-doubleaux prennent appui sur des colonnes engagées adossées à des piliers massifs. Les baies des collatéraux fournissent une lumière indirecte, selon un procédé fréquent en Poitou. En revanche, l’aménagement d’un passage entre le chœur et les absidioles est typiquement charentais.
Le décor sculpté se cantonne aux chapiteaux. Ceux de la nef ont des corbeilles lisses soulignées aux angles de volutes selon un procédé qui se reconnaît dans certains édifices du XIe siècle en Poitou, en particulier dans l’abbatiale de Saint-Savin-sur-Gartempe où ils devaient être peints.
Certains chapiteaux sont formés de deux assises superposées rappelant ceux de la rotonde de Charroux. Dans la croisée, ils sont richement décorés de feuillages ou d’entrelacs formant vannerie évoluant en volutes ou crochets aux angles. Au nord est de la croisée du transept, des rinceaux émergent de la bouche d’un masque humain. À l’opposé, les rinceaux réunis aux angles forment une volute.
Dans l’abside et les absidioles, des chapiteaux plus petits et faits d’un bloc sont ornés de feuilles grasses du même type qu’un chapiteau provenant de l’ancienne église Saint-Nicolas de Poitiers et conservé au musée Sainte-Croix.
Plusieurs sculptures sont insérées en réemploi dans les murs. Sur le chevet, au-dessus de la fenêtre de l’abside, à l'extérieur, un Agneau doté d’un nimbe crucifère au modelé délicat et s’inscrivant dans un médaillon est sculpté avec une taille en réserve. À l'intérieur, sur le mur nord, un modillon représente un lion. Sur le transept, du même côté, deux animaux (des agneaux ?) prennent place dans un cadre rectangulaire, tandis qu’au sud, une main bénissant posée sur une croix est représentée dans un médaillon.
Avant de quitter Cellefrouin, il faut monter au cimetière découvrir la lanterne des morts, dont le fût est constitué d’un faisceau de colonnes surmonté d’un fanal, accessible par un escalier. Les lanternes des morts ont fait l’objet d’une littérature abondante ayant parfois donné lieu à des interprétations fantaisistes. Présentes en Limousin, en Poitou et en Saintonge, situées au milieu des cimetières où leurs lanternons diffusaient la lumière, elles posent de nombreux problèmes de datation et de fonction. Elles ont peut-être eu un rôle protecteur. Quant à leur période de construction, si elle reste difficile à déterminer avec précision, il est vraisemblable que ces petits monuments ont appartenu à l’âge roman, car ils sont généralement associés à des églises de cette époque.