Art Roman en Poitou-Charentes : les chapiteaux historiés

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Les Carolingiens ont défini le rôle de l’image au concile de Nicée II (787), non pas en tant qu’objet de culte comme dans l’Empire byzantin mais comme le sujet d’un enseignement. Pour leur instruction, les religieux et les seigneurs possèdent les enluminures des manuscrits ; les laïcs, les peintures murales et les sculptures des églises. Souvent, des inscriptions explicitent la signification.

Dans les premiers édifices romans du Poitou-Charentes, la sculpture se cantonne souvent aux chapiteaux sculptés de motifs floraux dérivant de l’acanthe antique. Mais bientôt les corbeilles accueillent des personnages, des animaux et des scènes diverses.

Les premiers chapiteaux historiés sont apparus au clocher-porche de l’abbaye de Fleury (Saint-Benoît-sur-Loire) puis à Saint-Hilaire de Poitiers. Les sujets y sont exposés avec souci de clarté et de réalisme. Ils présentent des scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament, de la vie des saints, des sujets moralisateurs et de la vie quotidienne.

Parmi les scènes de l’Ancien Testament les plus représentées, on trouve Daniel dans la fosse aux lions. Est-ce l’image du chrétien livré aux forces du mal, le religieux en proie au pouvoir temporel ?... ou plus subtilement et sans doute compréhensible de la plupart des fidèles, la préfiguration de la Crucifixion et la Résurrection du Christ, Daniel étant le prophète qui a obtenu du roi de Perse Cyrus le retour en Palestine des juifs captifs à Babylone (538 avant J.C.)

Les scènes de l’enfance du Christ donnent lieu à des images très vivantes. À Saint-Hilaire de Poitiers, la fuite en Égypte occupe la face principale d’un chapiteau engagé. À la solennité de la Vierge assise sur son âne et présentant son fils à l’adoration du fidèle s’oppose l’inquiétude et le frémissement des anges, du cheval et de Saint Joseph. Ils craignent d’être rattrapés par les soldats du roi Hérode chargés de tuer tous les nouveaux-nés parmi lesquels seraient annoncés un futur roi qui mettraient en péril le trône d’Hérode.

L’épisode de la fuite en Égypte est complété par la scène du bain de l’enfant. On pense que la signification du chapiteau serait une allusion à la vie de Saint Hilaire et à ses écrits. Le bain de l’enfant serait une allusion à son baptême et la fuite en Égypte à son exil en Phrygie ordonné par l’empereur Constance, exil au cours duquel il rédigea son Traité de la Trinité.

Sur un chapiteau de la célèbre abbaye de Charroux dont ne subsiste de l’époque romane que l’octogone de la croisée du transept, l’entrée du Christ à Jérusalem est figurée sur la face principale. Le Christ s’avance sur son ânesse; un personnage jette un vêtement sous les pieds de l’âne; un autre est dans un arbre pour cueillir les rameaux.

Le chapiteau de la mort de Saint Hilaire de la nef (côté nord) de Saint-Hilaire de Poitiers comporte une scène religieuse et une scène laïque nettement dissociées l’une de l’autre. Les personnages se détachent en fort relief sur la corbeille lisse. Ils sont presque en ronde bosse. La peinture devait encore accentuer les volumes.

Sur la partie supérieure de la corbeille figure l’âme de Saint Hilaire portée par deux anges vers le ciel où l’attend la main de Dieu. Le déploiement des ailes, les plissés des draperies créent l’illusion d’un mouvement ascendant.

Dans la partie inférieure, des moines tonsurés prient et veillent Saint Hilaire sur son lit de mort. On aurait dans cette scène la plus ancienne représentation connue de mobilier roman : fauteuil pliant dont l’un semble avoir des têtes de lion aux accoudoirs, chandelier à trois pieds, lit à montants en bois tourné.

Le chœur de la collégiale de Saint-Pierre de Chauvigny présente un ensemble extraordinaire de chapiteaux historiés retraçant des scènes de l'Enfance du Christ et de la vie publique (annonciation, annonce aux bergers, adoration des mages, tentation dans le désert) ou des thèmes apocalyptiques (la luxure, le pèsement des âmes). Les autres sont revêtus de monstres terrifiants et de masques humains grimaçants. On a là tout un programme menant au Jugement dernier qui ne pouvait laisser personne indifférent.

Les artistes ont montré une réelle prédilection pour les compositions tragiques ou effrayantes. Elles évoquent les supplices que l’Enfer est sensé réserver. Diables hideux et monstres bizarres torturent les damnés. On se plairait à évoquer le prêcheur dans son église annonçant aux paroissiens les malheurs que l’Enfer leur réservait s’il ne menait pas une vie chrétienne et leur pointant du doigt le chapiteau ou les peintures murales de son église.

La signification du chapiteau du musée de Poitiers avec deux personnages parmi des motifs végétaux est énigmatique. Marc Sandoz a proposé d’y voir une allusion au Jugement dernier : le personnage en pied, barbu qui serre dans sa main l’arbre de vie, serait un élu au Paradis, tandis que le personnage à mi-corps serait englouti par l’Enfer auquel sont condamnés les mauvais chrétiens.

Le chapiteau des méfaits de la colère plus connu sous le nom de la Dispute du musée Sainte-Croix de Poitiers est excessivement célèbre. Les scènes de genre sont fréquentes en Poitou, celle-ci serait la première connue. Elle a une valeur morale et devait illustrer un sermon.

L’histoire racontée avec beaucoup de saveur commence sur la face latérale droite. Un homme est perché dans un arbre et s’adonne à la taille des rameaux.

Sur la face principale deux hommes s'empoignent par la barbe et brandissent leur serpe. De chaque côté leurs épouses tentent de les séparer.

Sur la face latérale gauche a lieu la réconciliation des deux hommes qui sont dorénavant estropiés. On a là une scène moralisatrice que l’on retrouve décrite dans d’autres édifices romans de la région.

Le chapiteau de la cathédrale d’Angoulême dit des « saisons » décrit des scènes de travaux des champs. une première face est décorée de rinceaux souples : ce serait le printemps ; la deuxième présente un homme portant un sceau : ce serait l’été ; la troisième, un homme qui serait en train de cueillir des fruits : ce serait l’automne ; enfin, la quatrième, un homme assis au repos : ce serait l’hiver.

Le chapiteau provenant de l’ancienne paroisse de Rochefort est considéré dorénavant comme une scène de boucherie plutôt que comme une représentation du sacrifice d’Isaac. Mais on sait que les sculpteurs répondaient à un programme. Le chapiteau est séparé de son contexte, il est donc bien difficile d’en comprendre la signification exacte. En tout cas, il nous donne une image pittoresque et précise d’un métier souvent méprisé.