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L'artiste

Luca Giordano est un artiste prolifique de la seconde moitié du 17e siècle. Né à Naples, il est lui-même fils d’un peintre. Son père l’envoie se former auprès de Giuseppe de Ribera grand représentant du ténébrisme (courant artistique qui, à la suite du Caravage, poursuit au 17e siècle l’exploration du clair-obscur, développant particulièrement la part de l’ombre dans un éclairage artificiel et les sujets macabres). Luca Giordano passe une partie de sa carrière en Espagne auprès de Philippe II et prend part à la réalisation de décors pour l’Escurial ou le Palais Royal. Il y connaît la célébrité puis retourne à Naples vers la fin de sa vie où il est à la tête d’un véritable atelier de production. Son œuvre aborde une grande variété de sujets (religieux, mythologiques, décors, représentations de saints et de philosophes).

Après une première attribution à Ribera, c’est Pierre Rosenberg qui confirme l’attribution de ce tableau à Luca Giordano. Il s’agirait plutôt d’une œuvre de jeunesse influencée par Ribera datée, selon les spécialistes, des années 1660/1665.

Le sujet

On connaît au moins six versions du suicide de Caton par ce peintre. Il s’agit d’un sujet en vogue dans « l’Italie » du 17e siècle où l’exaltation des vertus, la référence à l’Antiquité, les représentations des grands hommes sont courantes pour des commanditaires en quête de tableaux à vocation moralisante. Les nombreuses représentations des saints en martyrs à la même époque s’inscrivent dans cette tendance. Ce tableau évoque le dernier épisode de la vie de Caton d’Utique (dit Caton le Jeune) Marcus Porcius Cato (95-46 av. J.-C.) arrière petit-fils de Caton l’Ancien. Homme d’état et philosophe romain, il fut un républicain ardent et adversaire de César. Après la victoire de ce dernier à Thapsus contre Pompée, Caton, retranché à Utique, préfère se donner la mort en stoïcien inflexible plutôt que de tomber aux mains ennemies et d’assister à la fin de la République. Plutarque (v. 46/49 – 125) relate dans ses Vies l’histoire de Caton d’Utique et raconte avec beaucoup de détails les derniers instants du héros romain : (…)

Dès que Butas fut sorti, il tira son épée et se l'enfonça sous la poitrine ; mais l'inflammation de la main ayant affaibli le coup, il ne se tua pas tout de suite ; en luttant contre la mort, il tomba de son lit et renversa une table qu'il avait auprès de lui et qui servait à tracer des figures de géométrie. Au bruit qu'elle fit en tombant, ses esclaves jetèrent un grand cri, et son fils entra dans sa chambre avec ses amis : ils le virent tout baigné de sang ; la plus grande partie de ses entrailles lui sortaient du corps ; il vivait encore et les regardait fixement. Ce spectacle les pénétra de la plus vive douleur ; le médecin arriva, et, ayant reconnu que les entrailles n'étaient pas offensées, il essaya de les remettre et de coudre la plaie. Caton, revenu de son évanouissement, commençait à reprendre ses sens, lorsque, repoussant le médecin, il arracha l'appareil qu'on lui avait mis sur ses entrailles, et, ayant rouvert la plaie, il expira sur-le-champ.

(…) Caton mourut âgé de quarante-huit ans ; Luca Giordano livre ici son interprétation de la partie la plus tragique du récit de Plutarque. Caton à demi dénudé, en gros plan, éclairé vivement, a réouvert la plaie qu’il s’est lui-même infligée et s’arrache les entrailles. La scène d’un réalisme presque insoutenable se détache sur un fond sombre, quasiment noir. L’éclairage directionnel, intense, fait ressortir la carnation blanche de Caton qui contraste avec le coloris rouge, sanguinolent de la plaie et des viscères déployés. Le personnage principal a le visage déformé par la douleur, les yeux sont comme révulsés, la bouche grimaçante. De son bras gauche, Caton étire son intestin… le peintre accentue ainsi le caractère horrible de la scène et crée une oblique dynamisant la composition du tableau. Les personnages secondaires sont quasiment inexistants, celui que l’on aperçoit, épouvanté par le spectacle qui s’offre à ses yeux, pourrait être son propre fils.

L'œuvre, toute concentrée sur le personnage principal, donne encore quelques indications sur les derniers instants, fidèle au témoignage de Plutarque. Devant Caton, une épée courte, l’instrument de sa mort ainsi que des feuillets, référence au texte de Platon que le héros aurait lu dans les moments précédant son acte (Le Dialogue sur l’immortalité de l’âme, où Phédon relate la mort de Socrate, dont il fut témoin, et ses derniers propos).