Renaissance en Poitou

Le château de Bonnivet

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Renaissance d’un château

À une vingtaine de kilomètres de Poitiers, Guillaume II Gouffier, amiral de France, fit ériger, entre 1516 et 1525, un château de dimensions exceptionnelles. Son plan régulier, sa distribution intérieure, l’inventivité du parti de son escalier d’honneur, la qualité de son décor sculpté le placèrent d'emblée au premier plan du paysage architectural de la Première Renaissance.
Pourtant, sa destruction après 1788 occulta son importance. La plupart des fragments sauvegardés sont aujourd’hui conservés aux musées de Poitiers. Grâce aux travaux du professeur Jean Guillaume et à une grande exposition au musée Sainte-Croix en 2006, le château de Bonnivet a désormais retrouvé sa place de « chaînon manquant de la première Renaissance, entre Blois et Chambord » (Jean Guillaume).

Guillaume II Gouffier, amiral de Bonnivet

Guillaume II Gouffier, né vers 1481, était le fils cadet de Guillaume I Gouffier. Le testament de ce dernier, mort en 1495, prévoyait que Guillaume hériterait de la seigneurie de Bonnivet à son mariage. En épousant Bonaventure du Puy-du-Fou en 1506, Guillaume entra donc en possession d’une modeste terre familiale dépendant de la châtellenie de Vendeuvre (actuel département de la Vienne).

Grâce à son frère aîné, Artus Gouffier, gouverneur du comte d’Angoulême, Guillaume fut introduit auprès du futur roi et conquit son amitié. Après l’accession au trône de François Ier, en 1515, Guillaume devint un des principaux personnages du royaume et se vit confier des charges importantes : amiral à la fin de 1516 puis gouverneur du dauphin et du Dauphiné en 1519, il dirigea des missions diplomatiques auprès du pape Léon X (1515), du roi d’Angleterre Henri VIII (1518), des princes allemands (1519), il assista à  l’entrevue des rois au Camp du Drap d’or (1520) et conduisit l’armée en Navarre (1521) et en Italie (1523). Veuf en 1516, il se remaria l'année suivante avec l’héritière d’une grande fortune, Louise de Crèvecœur.

L’emblème qu’il choisit associait la traduction latine d’une devise grecque de l’empereur romain Auguste, Festina lente (« Hâte-toi lentement »), à une ancre et un dauphin qui figuraient sur une monnaie de Titus. Ces deux motifs évoquaient ses fonctions d’amiral, l’ancre symbolisant la lenteur et l’esprit de prudence, et de gouverneur du dauphin. Le caractère savant de cet emblème, loué par Rabelais, révèle un intérêt pour la culture antique, analogue à celui du jeune François Ier, qui peut expliquer le caractère novateur du château entrepris au retour d’Italie.

L’amiral trouva la mort en 1525 à la bataille de Pavie où son imprudence fut la cause, en partie, de la défaite française. Son décès marqua la fin des travaux du château.

Le château : une ambition brisée

La construction du château débuta à la fin de 1516, au plus tard en 1517, après l’accession de Guillaume Gouffier à la charge d’amiral de France.
Sans qu’il soit possible de l’identifier, il est toutefois certain qu’un architecte a conçu cet édifice remarquable : l’unité du plan, l’intelligence des partis retenus révèlent une personnalité majeure, qui sut donner corps aux ambitions du seigneur de Bonnivet.

Le château s’élevait sur un plan quadrangulaire. La façade principale, au sud, longue de 98 mètres, s’étendait entre deux tours d’angle. Au centre du corps de logis, l’escalier en vis était logé dans une cage ouverte sur les deux façades par de grandes baies en plein cintre, formant une sorte de « cabinet à claire-voie ».

Dans cette partie du château se concentrait l’essentiel du décor sculpté, d’une exceptionnelle qualité. Le style antiquisant de certains sculpteurs, nettement marqués par les exemples italiens contemporains, rencontrait la verve plus traditionnelle d’autres artistes inspirés par des modèles gothiques.

En 1525, le corps de logis principal était sans doute le seul achevé. L’aile est devait être élevée en partie, mais l’aile ouest sans doute juste commencée. La mort de l’amiral interrompit brutalement les travaux.
À partir de 1649, un nouveau propriétaire, Jacques de Mesgrigny, reprit en main le chantier : il acheva probablement l’aile est, conserva les seules arcades de la galerie initialement prévue à l’ouest, et ferma la cour, au nord, par un mur animé par des arcades aveugles, en imitant le dessin de celles élevées au siècle précédent. Fier de son œuvre, il commanda à un graveur, Lapointe, une vue du château.

En 1669, en route pour Bordeaux, l'architecte Claude Perrault (frère de Charles qui collecta les fameux Contes et se souvint de l'amiral dans Le chat botté avec le marquis de Carabas) s’arrêta à Bonnivet : son journal de voyage contient la seule description précise du château et même un croquis de l’escalier.

Malgré les travaux de Mesgrigny, l’état de ruine de l’édifice à la veille de la Révolution dicta sa vente à un homme d’affaires qui le transforma en carrière de pierre. La démolition dura de longues années, les plus beaux reliefs furent achetés par des collectionneurs. La Société des Antiquaires de l’Ouest s’efforça de rassembler des vestiges du décor, aujourd’hui propriété des musées de Poitiers. Une trentaine d’écoinçons, réunis par Gaillard de la Dionnerie, furent acquis en 1903 par le musée de Cluny qui les déposa à Poitiers en 1975. Quelques autres fragments sont conservés dans des collections publiques et privées, tandis que beaucoup ont été réemployés dans des bâtiments construits à Vendeuvre et dans les communes avoisinantes au début du XIXe siècle.

Ce monument disparu avait pourtant rayonné si intensément que lui seul fut cité par Rabelais pour donner à imaginer les splendeurs de Thélème, « cent fois plus magnificque que n’est Bonnivet ». Ses dimensions exceptionnelles, la qualité de son décor sculpté, la nouveauté de certains partis tels que l’escalier en vis intérieur ouvert de deux côtés, en firent le véritable précurseur du château de Chambord et l’imposèrent comme modèle dans tout l’ouest de la France.
Par cette exposition, le plus remarquable monument érigé en France dans les années 1515-1525 retrouve sa place dans l’histoire de l’architecture.

L’escalier d’honneur

L’escalier d’honneur du château de Bonnivet, placé au centre du corps de logis, ordonnançait la distribution des appartements. Construit selon un parti architectural novateur, il était orné d’un décor sculpté d’une exceptionnelle qualité et constituait ainsi le point focal de tout l’édifice.

On accédait au vestibule, depuis la cour, par deux baies en plein-cintre dont l’intrados des arcs était orné de chutes d’ornements. Le plafond du vestibule était supporté par des arcs en anse de panier sculptés sur leurs faces latérales ; les motifs des écoinçons conservés témoignent des divers styles artistiques en œuvre sur le chantier. De part et d’autre du vestibule, à chaque niveau, une grande porte desservait les appartements ; la grande frise à rinceaux habités conservée aux musées de Poitiers était située au-dessus de l’entrée de l’appartement du seigneur de Bonnivet, comme en attestent ses armoiries. Deux arcs en anse de panier séparaient le vestibule de la vis de l’escalier.

L’innovation majeure de cet escalier résidait dans l’ouverture de la vis sur chaque façade : côté cour par les baies du vestibule, côté jardin par un dispositif ménageant un espace entre la cage d’escalier et la façade. À mi-hauteur dans la montée des marches, une sorte de loggia aménagée entre la vis et le mur extérieur permettait d’ouvrir celui-ci tout en alignant ses fenêtres avec celles de la façade. Ce parti, inconnu auparavant, devait inspirer Rabelais dans sa description des escaliers de l’abbaye de Thélème, des « cabinets à claire-voie » imités de l’escalier d’honneur qu’il avait pu voir à Bonnivet.

Le décor sculpté

L’essentiel du décor sculpté du château devait se concentrer dans le vestibule, dans la vis et sur les façades de l’escalier d’honneur. Plusieurs styles apparaissent dans les fragments conservés, qui témoignent de l’activité conjointe de différents ateliers sur le chantier. Quand certains imitent sciemment des modèles antiques, au travers des exemples italiens contemporains, les autres travaillent dans la veine traditionnelle française, en reprenant des poncifs gothiques (illustration de proverbes, de jeux, bestiaire fantastique…).

Ce faisant, la confrontation entre l’inspiration antiquisante et les traditions nationales devait donner naissance à un répertoire de formes nouveau, celui de la première Renaissance française. Ainsi, les cornes et les fleurs de tailloir des chapiteaux, dont la forme appartient au répertoire de l’architecture antique, s’hypertrophient et acquièrent des dimensions exceptionnelles, se détachant de la pierre selon les habitudes à l’œuvre dans la sculpture ornementale française. Ce nouveau schéma de chapiteau sera largement employé au château de Chambord quelques années plus tard.

La restauration des fragments sculptés

Les musées de Poitiers conservent la majorité des éléments sculptés provenant du château de Bonnivet. Avant l'exposition, deux campagnes de restaurations successives ont été menées, au printemps 2004 et à l’automne 2005, afin de nettoyer les sculptures. La méthode retenue, au laser, a été ponctuellement complétée par des actions mécaniques (dégagement au scalpel) ou chimiques (compresses de gel). La structure de certaines pièces, cassées, a dû être consolidée.

Le nettoyage au laser

La technique du laser permet de nettoyer la pierre sans utilisation de produits chimiques ni projection de particules abrasives. Le laser (acronyme de Light Amplification by Stimulated Emission of Radiation) utilisé émet dans le domaine du proche infrarouge au-delà du spectre des ondes visibles, à une longueur d’ondes de 1064 nanomètres. Il élimine les salissures minérales ou « croûtes noires », même en couches très fines, sans altérer l’épiderme de la sculpture. En revanche, il est inefficace sur les mousses ou les lichens, et provoque la modification de pigments anciens, ce qui interdit son utilisation sur des œuvres polychromes.

La dangerosité du rayon émis oblige à travailler selon un protocole très strict : clôture du chantier, signalisation lumineuse, port de lunettes spéciales, éloignement de tout objet réfléchissant… Malgré son coût élevé, cette technique offre une telle précision dans le degré de nettoyage qu’elle séduit de plus en plus d’institutions et que des expérimentations sont en cours pour le traitement de matériaux divers, textiles, photographies, peintures de chevalet, dorures, ivoires sculptés, papiers…
Toute intervention sur une œuvre est accompagnée du rendu d'un rapport détaillé, qui dresse le constat d'état de la pièce avant restauration, définit et justifie le choix de la méthode utilisée et rend compte du résultat atteint. Cette documentation, aujourd'hui indispensable, permet de suivre l'histoire matérielle de l'objet.

Restaurateurs : Sarah Champion, Anthony Quatreveau, Maximilien Wroblewski.

Bibliographie sommaire

J. GUILLAUME, Le château de Bonnivet. Entre Blois et Chambord : le chaînon manquant de la première Renaissance, éd. Picard, Paris, 2006 ;
J. GUILLAUME (dir.), L’invention de la Renaissance. La réception des formes « à l’Antique » au début de la Renaissance, Actes du colloque du Centre d’études supérieures de la Renaissance à Tours, 1994, éd. Picard, Paris, 2003 ;
M. CHATENET, La cour de France au XVIe siècle. Vie sociale et architecture, ed. Picard, Paris, 2002 ;
CHEVALLIER-RUFFIGNY, « L’histoire merveilleuse et tragique du château de Bonnivet en Poitou », Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest, 1930, pp. 575-619 ;
P. BONNEFON (éd.), Mémoires de ma vie par Charles Perrault. Voyage à Bordeaux par Claude Perrault, Paris, 1909, pp. 152-153 ;
LECOINTRE-DUPONT, « Notice sur le château de Bonnivet », Mémoires de la Société des Antiquaires de l’Ouest, 1836, pp. 220-227 ; quatre planches publiées dans le Supplément de plus grand format ;
Cl. CHASTILLON, Topographie françoise, ou représentations de plusieurs villes, bourgs, plans, chasteaux…, Paris, 1641, n° 98 ;
F. RABELAIS, Gargantua, 1534, notamment chapitre IX (sur la devise de l’amiral de Bonnivet) et chapitre LIII (sur l’abbaye de Thélème).

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