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Modestes et éclatants
Quatre bijoux féminins traditionnels

 

Introduction

Hormis pour quelques provinces plus favorisées dans lesquelles le bijou traditionnel est connu dès le 18e siècle, c'est surtout à partir du début du 19e siècle que se développe, en même temps que la coiffe et le costume, le bijou régional. Peu d'exemples sont connus en Poitou avant la Révolution et le bijou populaire n'a que très rarement atteint, à cette époque, le milieu paysan ou artisanal qui reste pauvre.

Les bijoux sont souvent acquis lors d'un déplacement vers la ville, au moment des foires et marchés.
C’est au cours du 19e siècle que se développent les ateliers locaux comme ceux de Niort qui vont répondre aux besoins de plus en plus nombreux d'une clientèle plus aisée formée par la paysannerie, les petits artisans-commerçants et la petite bourgeoisie.

Tantôt support de nos croyances et de nos appartenances, tantôt accessoire du costume, simplement utilitaire, le bijou dit régional peut avoir diverses provenances, que celles-ci soient de conception ou d'utilisation.

Ce dossier qui ne peut présenter la totalité des bijoux traditionnels et leurs nombreuses variantes, s’attachera à présenter quatre types de bijoux féminins – parmi les plus représentatifs en Poitou et les plus fréquemment conservés dans les collections des musées – l’agrafe de mante, le crochet de châtelaine, la croix jeannette et le collier appelé esclavage.

 

1- L'agrafe de mante


La mante (cape) désigne un vêtement d’extérieur sans manche et parfois pourvu d’une capuche utilisé en milieu rural. Les agrafes métalliques – le plus souvent en argent mais aussi parfois en laiton – sont cousus sur chacun des pans du vêtement pour permettre de fermer ce dernier soit à l’aide d’un crochet soit à l’aide d’une chaînette. La fonction de l’agrafe de mante était donc essentiellement utilitaire.
Les exemplaires les plus anciens que nous connaissons en Poitou, remontent au début du 19e siècle, non pas qu'ils n'aient pas existé au 18e siècle, mais il y furent beaucoup moins nombreux car presque jamais portés en milieu paysan.

Ces premiers modèles sont inspirés par les bijoux à pierreries et surtout ceux en acier à décor en « pointes de diamant » polis et brillants. Ils sont exécutés au repoussé, dans une feuille d'argent assez mince. On y soude ensuite le crochet et la patte.

Les facettes sont presque toujours avivées par un travail de retouche très visible sur les pièces où les copeaux de métal ont été enlevés afin de rendre l'ensemble très brillant.

L’agrafe de mante, modèle féminin de l’agrafe de manteau, connaît au 19e siècle un développement important. L'explication est aisée : c'est durant cette période que, l'agriculture progressant, le niveau de vie augmente, la mode féminine se perfectionne et se diversifie en utilisant souvent des produits d'industries en plein essor. Filatures, tissages, dentelles mécaniques, teintureries, etc... expédient rapidement par voie ferrée leurs produits. Le colportage recule tout comme les forains qui cèdent le pas aux boutiques de mode.

Les exemplaires les plus anciens, à facettes et ajourés, sont directement cousus sur le vêtement soit au travers des ajours, soit à partir de trous autour des pièces. Un peu plus tard vers 1840, conjointement à l'apparition des chaînettes reliant les deux parties, on soude au revers des demi-coques des anneaux permettant une fixation invisible. Ces demi-coques sont réalisées à partir d’une mince feuille d’argent emboutie sur des matrices.

Ainsi, les agrafes de mantes connaissent entre 1840-1850 et 1920 une très grande variété : en corbeille
entourée d'une guirlande et de godrons ou de perles, palmette, grosse fleur, ajourée ou pas, en gerbe etc...


2- Le crochet de châtelaine à ciseaux


Les crochets de châtelaines à ciseaux, souvent appelés «  crochets » sans autre qualificatif, existent au 18e siècle et sont issus de la châtelaine médiévale ou clavier (« pendant à clés »). Ces bijoux ne se répandent véritablement qu'au début du siècle suivant grâce à l’amélioration du niveau de vie en milieu rural. On les fabrique dans des métaux aussi divers que le fer, le laiton, le cuivre, mais surtout l'argent et très rarement l'or.

En Poitou et en Charentes la forme générale est celle d'une plaque ornementale, le corps, qui se replie pour former la patte du crochet, amincie et assez étroite (1 cm dans la majorité des cas), puis se termine en pointe ou en spatule. L'extrémité de la partie visible, qui est presque toujours ornée, est perforée pour permettre la fixation d'une ou plusieurs chaînettes par l'intermédiaire d'une esse (crochet en forme de S) ou d'un anneau. On y suspend les ciseaux mais aussi le couteau, voire la pelote à épingles. Une femme possède souvent plusieurs crochets correspondant chacun à un usage précis.

Ce bijou, à caractère utilitaire, connaît un succès énorme dans certaines régions et tout particulièrement en Deux-Sèvres où il n'est pas rare d'en trouver cinq ou six par famille.

Il semble que ce fut souvent un cadeau symbolique du fiancé à son élue. Le bijou indiquait dès lors le pouvoir de la femme mariée en tant que maîtresse de maison. Mais certaines jeunes filles le possèdent déjà bien avant le mariage et l'on connaît de petits exemplaires manifestement destinés aux fillettes qui apprenaient couture et broderie dès le plus jeune âge. De minuscules crochets à ciseaux ont été aussi fabriqués pour les poupées.

Différentes formes étaient proposées chez l’orfèvre à l’aide de modèles ou patrons, en laiton, tôle, bois ou étain. Une fois la forme choisie, l’orfèvre ornait la plaque découpée de motifs gravés.

Niort a été incontestablement le lieu de fabrication le plus important du Poitou, très loin devant toutes les autres villes et l'on reconnaît facilement à leur style les modèles sortis des ateliers de cette cité où s'illustrèrent les Quantin, les Loze, les Charrier, Renoux etc... Le nombre qui y fut produit est considérable.

La très grande majorité des modèles affecte la forme d'un cœur et présente un décor exclusivement floral, gravé au burin, dénotant une incontestable maîtrise de ces artisans qui répètent à l'infini les mêmes motifs issus pour la plupart de l'iconographie galante du 18e siècle : corbeille, rose, pensée, nœud de rubans. D'autres empruntent au néoclassicisme la lyre, assez fréquente, mais on rencontre aussi le bouquet de fleurs dans une corbeille ou dans un vase à deux anses, voire la fleur seule et bien plus rarement, une main d'où pendait la chaîne.


3- La croix Jeannette


« … De temps immémorial, les servantes dans nos campagnes portaient des croix d’or suspendues à un ruban noir ; on appelle ces croix Jeannette parce qu’elles se donnent ou s’achètent à la Saint Jean, époque ordinaire des changements de condition… » Extrait de L’observateur des Modes, 1826.

Ce bijou, symbole de la foi chrétienne, témoigne aussi du passage de l’enfance à la vie active : les jeunes filles s’offrent traditionnellement cette croix latine à la Saint Jean, date de leur embauche, à l’aide de leurs premiers gages.

La croix de ce type est souvent produite en série dans de grands ateliers situés surtout à Paris, elle succède en fait, dans la seconde moitié du 19e siècle, à des modèles de croix régionaux plus spécifiques et fréquents aux 18e et début 19e siècles. On connaît peu de croix typiquement poitevines (forme de croix latine à section rectangulaire curieusement terminée en bas par une petite hampe).

Les croix Jeannette, tout comme les cœurs qui servent de coulant et qui les accompagnent deviennent très nombreux à partir de 1840.

Tout comme les agrafes de mantes, les cœurs et les croix sont formés de demies moitiés assemblées. Ces dernières sont obtenues à l’aide de matrices : des blocs d'acier ne dépassant pas la dimension de la paume de la main, finement gravés en creux et possédant parfois une contre-partie (partie mâle) ou positif d'acier ou de cuivre. Les modèles de croix les plus abondants sont en doublé (métal plaqué, le plus souvent du laiton plaqué or) mais aussi en argent et en or, ces derniers pouvant être décorés de filigranes rapportés.

Les croix Jeannette se standardisent avec un décor en méplat, de roses et fleurs diverses obtenues au repoussé.

Le Poitou semble avoir ignoré ou très peu utilisé les croix à pierres parfois imposantes comme dans d'autres provinces. Cœur, symbolisant l’amour, et croix, témoignant de la foi, sont également portés sur une chaîne jaseron (chaîne de cou aux mailles très fines) en or ou en doublé, qui est la plus répandue de toutes les chaînes, voire la seule utilisée pendant longtemps. Son origine est fort ancienne puisqu'on en connaît des mentions dès le 16e siècle.

4- L'esclavage


« …Je lui ai donné mes pendants d’oreilles, ma jeannette d’or, mon esclavage, mon épinglette et de l’argent et de tout… » Extrait de Jules Barbey d’Aurevilly : L’ensorcelée.

Le plus important des colliers est l'esclavage ou collier à plaques.

Très apprécié au 18e siècle, il est cité par Trévoux dans son dictionnaire (1752), il ne se répand que progressivement en milieu rural où il reste rare jusque vers 1840.

Son système de fixation des plaques implique l'utilisation de plusieurs chaînes où les jaserons sont les plus abondantes, parisiennes, sortes d'anneaux en huit repliés sur eux-mêmes, ou en paillettes émaillées aux motifs les plus variés. Les modèles les plus anciens peuvent posséder des plaques carrées en or, gravées de motifs floraux, mais aussi ovales à plusieurs entourages et bâtes perlées avec médaillons en émaux peints sur fond de paillons d'or. D'autres modèles utilisent de remarquables médaillons bressans aux techniques raffinées et complexes où se remarquent des fonds d'émail avec paillons d'or incrustés, perles d'imitation en émail, fausses pierres, etc... D'autres plaques, spécialement à partir de 1850 environ, adoptent une forme ovale horizontale entourée de S disposés en rinceaux, et ornés de pierres d'imitation enchatonnées d'argent. Les colliers les plus riches ont trois plaques et trois à cinq rangs de chaînes, ou brins. Les plus modestes n'ont qu'une plaque. Les fermoirs sont le clavier, le plus ancien, le barillet, et la plaque cadenas, petite boîte rectangulaire souvent émaillée, creuse, et recevant sur le côté un fermoir cliquet constitué d'une lame ressort. La plaque cadenas porte souvent, comme certaines plaques d'esclavages, une pensée. On y ajoute les mots complémentaires «A MOI» (pensez à moi).

Il arrivait fréquemment que les paysannes les moins fortunées emploient ces fermoirs à titre d’ornement principal. Leur collier était simplement constitué par un cordonnet de soie ou un ruban de velours laissant pendre, sur le devant, un clavier, un baril ou une plaque cadenas.

L'assemblage des esclavages se faisait à la demande chez le bijoutier qui fixait les chaînes jaserons. Beaucoup de colliers ont des éléments fabriqués à des dates différentes, les fermoirs claviers étant souvent de fabrication locale alors que les plaques sont parisiennes.